Théorie de l’Isochronie

Selon la théorie de l’isochronie, le rythme est défini comme un effet impliquant la répétition isochronique d'un certain type d'unités prosodiques. Cette approche rendue populaire par Pike (1945) et Abercrombie (1965, 1967) suggère que toutes les langues parlées ont une organisation rythmique spécifique. Selon cette organisation on peut les regrouper en deux catégories rythmiques distinctes dont chacune se caractérise par la récurrence régulière d’une certaine unité de discours. Les unités peuvent être les accents : les langues sont alors dites accentuelles (stress-timed), ou les syllabes dans les langues dites syllabiques (syllable-timed).

‘“As far as is known, every language in the world is spoken with one kind of rhythm or with the other. In the one kind, known as a syllable-timed rhythm, the periodic recurrence of movement is supplied by the syllable-producing process: the chest pulses, and hence the syllables recur at equal intervals of time – they are isochronous. (...) In the other kind, known as a stress-timed rhythm, the periodic recurrence is supplied by the stress-producing process: the stress-pulses, and hence the stressed syllables are isochronous. (...) When one of the two series of pulses is in isochronous succession, the other will not be. Thus in a syllable-timed rhythm, the stress-pulses are unevenly spaced, and in a stress-timed rhythm the chest-pulses are unevenly spaced.” (Abercrombie, 1967 p.96f).’

L’hypothèse d’Abercrombie (1967) suggère une distinction phonétique entre langue accentuelle et langue syllabique basée sur la physiologie de la production de la parole. Le rythme dans toutes langues parlées relève d’un des deux types de pulsation qu’il appelle ‘chest pulses’ et ‘stress-pulses’. Le premier est lié à l’expiration de l’air des poumons et le deuxième au mouvement de contraction et de relaxation alternatives des muscles de la respiration. Par ailleurs, la deuxième hypothèse qui découle de la définition d’Abercrombie (1967), est d’ordre acoustique car l’isochronie devrait être mesurable sur le signal de la parole.

Bloch (1950), Han (1962) et Ladefoged (1975) ont proposé un troisième type de rythme basé sur l’isochronie des mores dont le japonais est l’exemple le plus cité. Selon leur hypothèse, le ‘mora-timing’ correspond à la succession des mores à intervalles réguliers en termes de durée.

À partir de cette classification, la notion de l’isochronie a été étendue à plusieurs langues du monde. Nous proposons dans le Tableau 2 un récapitulatif des langues réparties dans les trois catégories rythmiques proposées.

De nombreuses études ont tenté d’apporter à la théorie un support empirique. Il semble à priori logique qu’en mesurant les intervalles séparant les accents, les syllabes ou les mores sur le signal de la parole, on puisse vérifier l’hypothèse et déterminer la classe rythmique d’une langue donnée. Néanmoins, nous montrerons plus avant, que les études empiriques n’ont pas validé cette hypothèse.

Tableau 2. Typologie des langues selon la classification rythmique traditionnelle (basées sur Dauer, 1983 ; Ramus, 1999 et Grabe, e 2002)
Langues Classification
AnglaisArabeNéerlandais et langues germaniques RussePolonaisThaï Langues accentuelles Pike (1945); Classe (1939); Abercrombie (1967)Abercrombie (1967); M. Miller (1984); Benguerel (1999); Tajima, Zawaydeh et Kitabara (1999)Ladefoged (1975); Smith 1976 ; Kohler (1982)
Abercrombie (1967)Rubach et Booij (1985)Luangthongkum (1977), cité par Dauer (1983)
EspagnolFrançaisItalienCatalanGrecTelegu Yoruba Hindi Langues syllabiquesPike (1945); Hockett (1958)Abercrombie (1967); Catford (1977)Bertinetto (1981)Dauer (1983); Nespor (1990); Mehler et al.(1993)Arvaniti (1994)Abercrombie (1967)Abercrombie (1967)O'Connor(1973)
JaponaisTamoulAlyawara, Aranda et Paiute Langues moraïquesLadefoged (1975); Bloch (1950); Han (1962) Steever (1987); Corder (1973); Asher (1985)Haragushi et Tanaka (1992), cité par Nazzi (1997)