L’échec de l’Isochronie

Bien que de nombreuses études aient tenté d’apporter un soutien empirique à l’hypothèse de l’isochronie, mais aucune ne s’est avérée concluante. Les études qui se sont penchées sur les langues accentuelles, ont montré que les intervalles entre les accents ne manifestent aucune régularité particulière en termes de durée (Bolinger, 1965 ; Delattre, 1966 ; Dauer 1983, 1987 ; Eriksson, 1991 ; Fant et al. 1991 ; Faure, Hirst et Chafcouloff 1980 ; Manrique et Signorini, 1983 ; Nakatani, O' Connor et Aston, 1981 ; Pointon, 1980 ; Roach 1982 ; Shen et Peterson, 1962 ; Wenk et Wioland, 1982) 31 . Quant aux langues syllabiques et moraïques, les études n’ont démontré aucune isochronie en termes de durées de syllabes ou de mores (Dauer, 1983, 1987 ; Pointon, 1980 ; Roach, 1982 ; Wenk et Wioland, 1982). Roach (1982) a étudié en particulier les langues classées par Abercrombie (1967) en utilisant la même méthodologie. Il a examiné le premier groupe de langues dites accentuelles : l’arabe, l’anglais et le russe, et le deuxième groupe de langues syllabiques : le français, le telegu et le yoruba. En vérifiant les arguments avancés par Abercrombie (1967), il n’a trouvé aucune régularité de durées ni en termes d’intervalles entre les accents, ni en termes de durées des syllabes. Roach (1982) a conclu que les mesures des durées entre les intervalles ne pourraient pas fournir des preuves sur l’existence de différentes classes de rythme.

Dauer (1983, 1987) est parvenue aux mêmes conclusions en étudiant l’anglais, l’espagnol, l’italien, le thaï et le grec. Elle a constaté que les intervalles entre les accents dans une langue accentuelle comme l’anglais, ne sont pas particulièrement plus réguliers qu’en espagnol, langue dite syllabique, et que dans les cinq langues étudiées, la durée des intervalles était proportionnelle au nombre de syllabes qu’ils comportaient. À partir de ces résultats, Dauer (1983) conclut que la recherche des corrélats acoustico-phonétiques de la syllabe ou de l’accent basée sur l’isochronie serait vaine ; en revanche, elle constate que les données observées semblent refléter des propriétés universelles de l'organisation temporelle des langues.

Pour ce qui est de la parole lue, Fant et al. (1991) ont analysé des textes anglais, français et suédois. Les résultats ne révèlent aucune isochronie : l’intervalle inter-accentuel varie de 0.2 à 1 sec pour les trois langues avec une valeur moyenne commune de 550 ms. Ils ont aussi observé dans les trois langues que la durée de cet intervalle augmente avec le nombre de syllabes, sans qu’un véritable processus compensatoire ne soit utilisé pour égaliser cet effet. Ces résultats montrent que la durée de l’intervalle inter-accentuel ne constitue pas un facteur discriminant décisif ni des langues dites à isochronie accentuelle et ni des langues à isochronie syllabique.

Di Cristo (2003) explique que : ‘ « Les divergences constatées entre les prédictions des théories phonologiques et les faits empiriques ne sont pas surprenantes, dans la mesure où ces théories sont fortement influencées par la métrique littéraire et la métrique musicale. Or, il est peu concevable que l’émission de la parole ordinaire puisse se soumettre à des contraintes aussi strictes que celles qui sont imposées par ces dernières.». ’(p.31).

En résumé, les mesures obtenues à partir du signal acoustique ne peuvent pas constituer une preuve suffisante pour classer des langues comme étant accentuelles par opposition à syllabiques. Si les études empiriques n’ont pas confirmé l’existence de l’isochronie, elles ont permis en revanche de collecter des informations sur les phénomènes responsables de la variation rythmique, notamment la structure syllabique : « ‘ it would be necessary to consider possibilities such as that languages classed as syllable-timed may tend to have simpler syllable structure ’ ». (Roach, 1982, p.2). Par ailleurs l’échec de la théorie a conduit à reconsidérer le rythme en tant que phénomène perceptuel et c’est dans ce cadre-là que se situe la thèse défendue par les psycholinguistes.

Notes
31.

Notons que la plupart des études sont parvenues aux mêmes résultats en examinant l’anglais ou en le comparant à d’autres langues.