Récapitulatif

Dans ce chapitre, nous avons passé en revue les différentes études sur la nature du rythme dans les langues humaines ainsi que les diverses méthodes utilisées pour regrouper les langues en classes rythmiques. La première étape consistait à présenter une définition claire et précise de ce que l’on entend par rythme d’une langue. Malheureusement, un consensus sur une telle définition ne semble pas encore s’imposer. Cependant, la plupart des chercheurs devraient s’accorder sur le fait que le rythme est lié à l’existence d’un phénomène détectable se répétant au cours d’une phrase.

Nous avons montré que d’aborder cette problématique nécessite la présentation de certaines notions fondamentales ainsi que les interprétations linguistiques différentes dans la littérature linguistique. Le rythme influe la production et la perception de la parole, quels que soient par ailleurs la modalité et le style à travers lesquels s’exprime cette dernière (lecture, parole spontanée, style formel, prose, etc.). Il a en effet été montré, que la production de la parole, conditionnée par l’activité cyclique de la respiration, est contrainte par le rythme. Par ailleurs, d’innombrables études ont montré que le rythme est avant tout une construction perceptive, conditionnée par une horloge biologique. Enfin, nous avons rappelé qu’un grand nombre études phonétiques ont tenté de démontrer que le rythme est géré par un ensemble d’indices acoustiques observables sur le signal acoustique.

Pour ce qui concerne les approches phonologiques, nous avons vu que le rythme d’un énoncé est le plus souvent inféré à partir de la structure accentuelle. La structure temporelle est supposée être congruente à la structure accentuelle bien que cette dernière ne soit jamais présentée de façon explicite dans les modèles phonologiques. De plus, les approches phonologiques, et notamment la phonologie métrique, tendent à imposer une certaine régularité que les études empiriques n’ont pas confirmée.

Nous considérons ainsi que l’étude du rythme de la parole ne consiste pas à décrire une régularité d’accent comme le suggère la théorie de l’isochronie, mais à décrire une structure et une organisation de différents événements prosodiques qui contribuent à ce rythme dont l’organisation accentuelle. « ‘ l’organisation accentuelle doit composer en réalité avec un faisceau de contraintes qui tiennent à la taille et à la fonction des unités lexicales, aux choix syntaxiques, aux variations du tempo, au style, au signalement des diverses formes de focalisation, etc.. ’ ». (Di Cristo 2003, p. 31).

Nous adoptons ainsi la définition selon laquelle « le rythme est l’organisation temporelle des proéminences » car elle permet à la fois de situer le rythme dans la prosodie en le distinguant de l’intonation tout en tenant compte du phénomène de la temporalité. Nous considérons toutefois, que les proéminences peuvent être établies en termes de syllabes accentuées ou non accentuées, longueur syllabique (longue ou courte) ou ton (haut ou bas) ou une combinaison quelconque de ces variables (Crystal, 1985).

Ainsi nous optons pour une approche du rythme qui démontre que la structure accentuelle est insuffisante pour déduire la structure rythmique complète. L’approche de Dauer (1983, 1987) a mis en évidence les propriétés phonologiques typiquement associées aux différents types de rythme, dont les principales sont : la structure syllabique et la réduction vocalique auxquelles il faut cependant ajouter le rôle joué par l’accent.

Les approches phonétiques considérées dans ce chapitre et auxquelles vient se rajouter le présent travail, se focalisent sur la recherche d’unités pertinentes pour la caractérisation du rythme d’une langue ou d’un dialecte. L’approche de Ramus cherche à différencier les langues en prenant comme unités les phonèmes et en regardant – sur chaque phrase – la proportion de durée des voyelles par rapport aux consonnes, ainsi que la régularité (en termes de variances) de ces durées. L’approche de Grabe considère les voyelles comme éléments caractérisant le rythme et propose des mesures de variabilités d’intervalles inter-vocaliques et de durées des voyelles.

Bien que ces approches aient contribué à la détermination de corrélats acoustiques pertinents pour la quantification le rythme de la parole, nous avons tenu à exposer les études critiques qui ont révélé les faiblesses que présentent les deux modèles principaux (Ramus, 1999 & Grabe, 2003), notamment pour ce qui concerne l’effet du débit et les différentes manières de classifier les langues, c'est-à-dire, à l’intérieur de classes rythmiques discrètes ou le long d’un continuum.

Notons toutefois que, quelque soit l’approche ou les limites de la typologie rythmique, les langues du monde présentent sans aucun doute une variation rythmique perceptible par l’oreille humaine, même non experte. Il nous semble donc possible – à l’instar d’autres chercheurs – d’étendre ce phénomène aux variétés dialectales de ces langues.