Rappel des objectifs

Sur le plan théorique, nous considérons que le système prosodique d’une langue est une construction difficile à délimiter en raison de l’absence d’un cadre théorique formel et/ou de niveaux d’analyse structurés. Le rythme de la parole est aussi un phénomène assez complexe que l’on peut aborder selon plusieurs angles. Nous adoptons, ici une approche phonétique qui permet d’appliquer à plusieurs langues et variétés le même protocole d’évaluation du rythme de manière comparable.

Le choix du rythme comme paramètre prosodique pour distinguer entre différentes variétés dialectales arabes est motivé par l’absence d’études approfondies consacrées à ce paramètre. D’autre part, la mise en évidence de la différence de rythme entre arabe maghrébin et arabe oriental fait également écho à d’autres typologies dialectales réalisées sur d’autres langues (e.g. Deterding, 2001 ; Frotta et al., 2002 ; Dellwo et al., 2003 ; Ferragne et al., 2004).

Rappelons que selon l’approche phonologique de Dauer (1983, 1987), le rythme repose sur des propriétés phonologiques comme la complexité des syllabes, la corrélation entre poids syllabique et accent, la présence ou non de réduction vocalique. Selon cette conception, l’hypothèse d’une distance rythmique mesurable entre les différents parlers arabes est plausible car les variétés arabes manifestent des degrés différents de réduction vocalique et de complexité syllabique.

Pour analyser les variations rythmiques dans les dialectes arabes, nous avons choisi d’utiliser les modèles proposés par Ramus (1999) et Grabe (2000, 2002) qui toutes deux visent à mettre en évidence des corrélats acoustiques pour le rythme. Ces deux modèles d’analyse, présentés dans le chapitre précédent se focalisent sur la recherche d’unités pertinentes dans le but de caractériser le rythme d’une langue. Ils proposent des corrélats acoustiques pour la quantification des propriétés phonologiques considérées par plusieurs linguistes comme pertinentes dans la caractérisation du rythme. Ainsi, les deux modèles ont-ils reconsidéré la classification des langues en catégories rythmiques absolues : langues accentuelles vs. langues syllabiques vs. langues moraïques déjà avancée par les adeptes de la théorie de l’isochronie mais contestée par les études empiriques.

D’un point de vue méthodologique, les modèles de Ramus (1999) et celui de Grabe (2000, 2002) s’appuient sur le niveau phonétique en regardant pour chaque phrase la proportion en durée des voyelles par rapport aux consonnes ainsi que la régularité (en termes de variances) de ces durées. Toutefois, en examinant les différences entre les deux modèles, nous avons souligné quelques divergences dans leurs résultats par rapport à la notion de classes rythmiques vs. continuum et par rapport à l’effet de débit sur leurs mesures.

En fin, rappelons que les recherches publiées sur le rythme de la parole ont déjà classé l’arabe standard avec tous les dialectes comme appartenant à la catégorie accentuelle (stress-timed) par opposition à la catégorie syllabique (syllable-timed) ou à la catégorie moraïque (mora-timed) (e.g. Abercrombie, 1967 ; J. Miller, 1984 ; Benguerel, 1999 ; Tajima et al., 1999 ; Cheikhrouhou, 2005 ; Laver, 1994 et Hamdi et al., 2002). À présent, si tous les dialectes arabes sont ‘accentuels’ comme le suggèrent les travaux cités ci-dessus, il devrait au moins exister des sous-classes à l’intérieur de la même catégorie rythmique qui expliquent cette variation prosodique inter-dialectale et justifient cette impression de rythme plus ou moins saccadé rapportée par les sujets de Barkat (2000).

Ainsi, l’hypothèse que notre travail tente de confirmer est celle de l’existence de différentes sous-classes rythmiques ou d’un continuum dialectal. Cette conception rejoint dans une certaine mesure l’approche phonologique proposée par Dauer (1983, 1987) et mise en exergue par Ramus et al. (1999) et Grabe et al. (2000, 2002).