Les parlers marocains 

Le Maroc compte de nombreuses villes importantes et anciennes, dont les parlers sont citadins, telles Fès, Salé, Taza, Tanger, Tétouan. Les parlers de ces cités marocaines présentent entre eux des différences, mais ils ont aussi en commun, des traits homogènes généralement perçus comme typiques. La situation linguistique au Maroc est caractérisée par une concurrence entre l'arabe, le berbère et le français, d'une part et entre l’arabe classique, l’arabe marocain et l’arabe marocain moyen, de l’autre.

L'influence du français et du berbère sur les variétés de l’arabe marocain est considérable. À cet égard, Boukous (1998, p. 9) distingue cinq variétés principales d’arabe marocain :

  1. Le parler urbain (dit mdini) : employé dans les villes marocaines traditionnelles telles que Fès, Rabat, Salé et Tétouan et marqué par des caractéristiques des parlers andalous.
  2. Le parler montagnard (appelé Jebli), parlé dans le nord-ouest du Maroc et caractérisé par l'influence du berbère aux niveaux de la phonologie, de la morphologie et du lexique.
  3. Le parler bédouin (dit a’rubi), employé par la communauté arabophone d'origine de Bani Hilal et de Bani Maaqil habitant les plaines de Gharb, de Chawiyya, de Doukkala et des villes voisines telles que Mohammedia, Casablanca, El Jadida, Marrakech, etc.
  4. le parler bédouin (dit bedwi) des plateaux du Maroc Oriental.
  5. La variété de Hassane (dit a’ribi) employée par des locuteurs d'origine de Bani Maaqil vivant maintenant au Sahara dans la région méridionale du Maroc.

Les études linguistiques portant sur les parlers marocains ont débuté dans les années 40 avec les travaux de Harris (1942) suivi plus tard par Cantineau (1950), Brunot (1950), Harrell (1962), Abdelmassih (1970) et d'autres. Ces travaux ont été principalement de nature didactique et descriptive. Ils ont été généralement élaborés pour aider à apprendre l’arabe dialectal. Toutefois, ils ont apporté une contribution très importante à l'étude de l’arabe marocain qui a été longtemps négligé par les linguistes marocains. Ce désintérêt qu’on peut généraliser à tous les parlers arabes était partiellement dû au rapport de diglossie qui existait entre les dialectes et l'arabe classique (Ferguson 1959). La complexité de la situation linguistique au Maroc pourrait aussi expliquer le manque d’études dialectales (Caubet 1993). Cette situation complexe est qualifiée par Youssi (1983, 1986, 1995) de ‘triglossie avec multilinguisme’ compte tenu de la cohabitation de la langue française et des variétés du berbère.

Les années 70 ont marqué le début des études menées par les chercheurs marocains étudiant leur langue maternelle. Des travaux tels que ceux de Youssi (1977, 1986) Benhallam (1980), Benkirane (1982), Benkaddour (1982), Boudlal (2001), ont non seulement décrit les structures phonologiques du marocain mais également engagé la discussion sur les idées avancées par différentes écoles. D’autres travaux sur l’arabe marocain ont été entrepris en vue de traiter les aspects prosodiques selon des théories récentes (e.g. théorie de l’optimalité) (Bellout, 1987 ; Ait Hammou, 1988 ; Hammoumi, 1988 ; Al Ghadi, 1990 ; Mawhoub, 1992 ; Nejmi, 1993 ; Boudlal, 2001 ; Hammari, 2000).

Le point commun à ces études est l’examen des structures de l’arabe marocain à travers les développements théoriques récents dans le domaine de la phonologie et de la morphologie. Toutefois, d’un point de vue dialectologique, ces études n’ont pas traité les mêmes variétés ce qui a conduit à quelques divergences. Ce problème demeure un sujet de discussion dans le domaine de la dialectologie arabe et la question est toujours d’actualité : peut-on toujours parler de dialecte marocain, algérien, égyptien malgré les variétés existantes au sein du même dialecte ? Existe-il une variété représentative d’un dialecte ? À ce propos, Boudlal (2001) pense que les travaux entrepris sur l’arabe marocain n’énoncent pas clairement ce qui est entendu par arabe marocain car ils n’étudient pas nécessairement la même variété ; il affirme que les divergences des analyses pourraient ainsi être attribuées à la variation dialectale.

Benkirane (1982) considère que certains chercheurs linguistes marocains font consciemment ou inconsciemment abstraction des différences ‘locales’ entre les parlers et préfèrent porter leur attention sur une variété trans-locale suffisamment neutre. Il s'agit en fait d'un parler essentiellement citadin forgé à partir d'un mélange des variétés régionales développées dans les centres urbains et en particulier autour de l'axe des capitales politique et économique, respectivement Rabat et Casablanca. Dans ce cadre-là, l’auteur cite l’étude de Benhallam et Dahbi (1990a) qui décrivent le profil d'une telle variété en ces termes : « ‘ This is the variety which may be referred to as a supralocal variety, the one generally used in the media for songs, advertisements, and some announcing. The authors take it as the reference variety counting on their linguistic training in addition to their native intuitions to help them recognize it and avoid imprecisions and prejudices that speakers are often guilty of when ’ ‘ describing their language. This variety may be referred to as Average Moroccan Arabic. » ’(p.112).

Ainsi, nous avons choisi les parlers de Rabat et de Casablanca car ils présentent dans leur ensemble un caractère assez unitaire et constituent les formes linguistiques dominantes au Maroc. Les autres dialectes comme ceux de la partie septentrionale sont de type marocains aussi, mais offrent des traits de ressemblance avec certains parlers oranais d’Algérie (comme celui de Nédroma, par exemple) et du Nord Constantinois (Jijel, à l’Est de l’Algérie) (Bouhadiba, 1992).