Discussion

Rappelons que le modèle de Ramus (1999) et celui de Grabe (2000, 2002) ont le même objectif : trouver des corrélats acoustiques pour décrire les caractéristiques rythmiques des langues et des variétés de langues. Les deux modèles sont récents et innovants sur la quantification du rythme à travers le signal acoustique.

Toutefois, les variantes de PVI et les paramètres %V, ∆C et ∆V qui se rapportent à ces deux modèles ont été sujet à de nombreuses discussions et évaluations. Des travaux récents ont utilisé ces paramètres pour comparer le rythme des langues ou des variétés de langues (section ). Ils ont conclu qu’en fonction des langues étudiées, certains paramètres s’avèrent plus ‘fiables’ que d’autres pour distinguer entre les langues et/ou variétés.

Ramus (1999) suggère que la corrélation (∆C, %V) est la plus adéquate pour classer les langues selon leurs propriétés rythmiques. Ce sont des paramètres qui sont liés principalement à la structure syllabique et permettent de mesurer son degré de complexité. Quant à la variable ∆V, sensée refléter la variabilité des durées vocaliques, Ramus (1999) trouve qu’elle est moins liée aux classes du rythme excepté pour distinguer certaines langues dites intermédiaires comme le polonais. Nos résultats concernant ∆V suggèrent que cette propriété est cependant importante pour caractériser le rythme des dialectes arabes. Ceci nous a mené à adopter la technique de PVIV qui se base sur les mesures de variabilité vocalique et inter-vocalique locales pour évaluer la variabilité et son impact sur le rythme des dialectes arabes.

Nos résultats de PVI sur les données brutes ‘raw PVI’ confirment l’importance de la variabilité vocalique pour la discrimination inter-dialectale. En effet, en corrélant le rPVIV et rPVIC, les parlers arabes se regroupent en 3 sous-classes rythmiques représentant les trois zones géographiques : Maghreb, Moyen-Orient et la zone intermédiaire regroupant la Tunisie et l’Égypte (c.f. Figure 32). Ces résultats corroborent ceux que nous avons montré dans la section précédente, en appliquant le modèle de Ramus. En effet, cette corrélation est similaire à celle de (∆V, ∆C) (Figure 26). Nous pouvons conclure ainsi que les paramètres qui se rapportent à la complexité syllabique et à la variabilité vocalique caractérisent le rythme dans les dialectes arabes. Par ailleurs, la variation rythmique de ces parlers apparaît à travers les corrélations de ces 3 paramètres : la première illustrée sur le plan (∆C, %V) qui reflète la complexité syllabique en fonction de la réduction vocalique (Figure 22) et la deuxième apparaît sur le plan (∆V, ∆C) de même que le plan (rPVIV, rPVIC). Ces deux plans montrent que la variabilité vocalique corrélée avec la complexité de la structure syllabique pourrait caractériser le rythme dans les parlers arabes.

Au niveau des langues, le plan (rPVIV, rPVIC) (Figure 34) confirme ce qui a été avancé dans la littérature du rythme au sujet des différences de variabilité des durées vocaliques de l’anglais, du français et du catalan.

Au cours de leur étude, Grabe et al. (1999) confirment que les langues accentuelles montrent plus de variabilité vocalique que les langues syllabiques : « ‘ Stress-timed languages such as English exhibit more vocalic variability than syllable-timed languages such as French ’ » (p.10). Cela est expliqué dans la littérature phonétique des deux langues par la qualité de la voyelle. L'anglais a en général des voyelles courtes et réduites, mais aussi des voyelles intrinsèquement longues (i.e. diphtongues) et des voyelles accentuées. Par conséquent, le niveau de la variabilité est élevé dans les durées des voyelles. En français, langue qui ne présente pas beaucoup de réduction vocalique, le niveau de la variabilité vocalique est visiblement plus bas. Cependant, nos résultats montrent que la disposition des deux langues sur l’axe x (rPVIV) confirme que le niveau de variabilité vocalique est plus bas en français, mais d’un point de vue statistique, cette différence n’est pas significative.

Pour ce qui concerne la comparaison avec les dialectes arabes, nos résultats montrent que les valeurs de rPVIV en français sont plus élevées. Cela ne corrobore pas avec la littérature qui suggère que la variabilité vocalique devrait être moins importante dans les langues syllabiques que dans les langues accentuelles. L’incohérence de ces résultats semble être liée à la nature du corpus utilisé dans cette étude. En effet, le fait que notre base de données est composée de parole spontanée, les valeurs observées peuvent résulter des interactions entre les facteurs dépendants des locuteurs et/ou dépendants de la langue. Ainsi, la variabilité vocalique peut s’expliquer par le style de parole ainsi que d’autres caractéristiques prosodiques qui peuvent intervenir au niveau du locuteur (allongement intonatif, débit…). Nous pouvons également expliquer cette incohérence par la durée intrinsèque des voyelles qui peut varier du français à l’arabe. Rappelons aussi que le français peut présenter des phénomènes d’allongement vocalique. Par exemple, les études phonétiques ont montré l’effet de l’accentuation sur la durée vocalique même si l’accent ne porte que sur la dernière syllabe prononcée du groupe sémantique.

Si nous considérons la normalisation, la distribution des langues sur l’axe nPVIV est maintenue. Toutefois, nous avons constaté l’effet inverse pour les parlers arabes. En se basant sur les mesures normalisées des intervalles vocaliques, ces parlers ne présentent aucune variation. Cette normalisation visant à priori à éliminer les effets de débit, il était important d’évaluer dans quelle mesure cette neutralisation des différences entre les parlers arabes était due à un effet de débit.

Nos résultats n’ont révélé aucune différence significative : de débit entre les dialectes. Ainsi, on constate que la normalisation appliquée en nPVIV a un impact sur les différences entre les parlers arabes qui tiennent réellement à des caractéristiques linguistiques pertinents.

La variabilité vocalique fait partie des caractéristiques rythmiques des langues accentuelles dont l’arabe. Au niveau phonologique, ce phénomène a été défini comme un indice de discrimination entre les dialectes arabes (Barkat, 2000). Nous pouvons ainsi avancer l’idée que le fait de normaliser le débit écrase des informations importantes par rapport à la variabilité des durées vocaliques.

L’autre explication possible peut être lié à la nature de cette mesure. Rappelons que nPVIV proposé par Low et al., (2000) et Grabe et al., (2002) se base sur la mesure de différence de durée entre deux intervalles vocaliques successifs divisée par la durée moyenne de ces deux intervalles. La valeur de nPVIV n’est donc pas exprimée en termes de durée mais en termes de rapport et/ou de contraste entre des durées inter-consonantiques successives. En effet, cette variable calcule plutôt l’intensité de l’effet de contraste entre les voyelles successives écrasant ainsi toute variabilité de durée. Or, nous avons vu dans les sections précédentes que les études portant sur le phénomène de variation des durées vocaliques, ont souligné le fait que dans les dialectes maghrébins les voyelles phonologiquement longues ou brèves ont une durée moindre que les voyelles correspondantes dans les dialectes moyen-orientaux. Cela veut dire que la variabilité existe mais l’effet de l’intensité du contraste peut être similaire entre différents dialectes comme c’est le cas dans nos résultats. Par exemple le contraste entre voyelle brève et voyelle longue dans les parlers moyen-orientaux peut être similaire à celui existant entre le schwa et les voyelles pleines dans les dialectes maghrébins.