4. Le champ du « théâtre politique » : multiplicité des acteurs, des discours et des lieux d’analyse.

Pour penser la notion de « théâtre politique », il est rapidement apparu nécessaire de ne pas réduire le champ d'étude à l'analyse dramaturgique ou scénique, mais d'étudier des spectacles, et de les étudier dans leur intégralité, c’est-à-dire sans se limiter à leur qualité d’objets esthétiques. Nous avons donc fait le choix d'inclure l'amont comme l'aval de la représentation – moyens de financement, réseaux de diffusion, dossiers de presse et entretiens, critique des spectacles – autrement dit les spectacles comme discours, mais aussi le discours des artistes et celui de la critique – journalistique et universitaire 63 – et enfin le discours des acteurs de la culture – ceux qui la financent, et doivent justifier de leurs choix de subventions. L’expression « théâtre politique » ne renvoie pas à un genre théâtral précis, et ne constitue pas un concept. Comme nous l’avons vu, de nombreux termes viennent préciser, nuancer, voire réduire la référence au « théâtre politique » dans le discours des artistes comme de la critique : théâtre populaire, théâtre citoyen, théâtre d'agit-prop, théâtre militant, théâtre d'intervention. Or les définitions de ces différents termes, comme celles du « théâtre politique », sont aussi multiples que subjectives, et ne renvoient pas à des concepts rigoureusement et une fois pour toutes définis, mais à des notions dont certaines sont empiriques, d’autres se sont densifiées à telle époque (le théâtre populaire au tournant du XXe siècle) dans la bouche des artistes, tandis que d’autres encore sont de pures créations universitaires (le théâtre d’intervention). Ces différentes définitions sont de plus susceptibles d’entrer en contradiction les unes avec les autres, tout comme la valorisation de certaines expressions sert à en dévaloriser d’autres. C’est dans cette perspective que nous analyserons la référence omniprésente chez tous les acteurs (artistes, journalistes, acteurs institutionnels) à la notion de « théâtre public », et à celle de « théâtre citoyen », tandis que le « théâtre politique », et plus encore le « théâtre militant » – pour ne rien dire du « théâtre d’agit-prop » – fonctionnent souvent à l’heure actuelle comme des repoussoirs aux relents poussiéreux voire nauséabonds. Les lignes de partage entre les différentes définitions du théâtre politique peuvent s’établir à partir de la notion de « spectacle » si l’on fait jouer les différents sens de ce terme, qui peut désigner la mise en scène d’un texte, mais aussi la représentation comme espace-temps spécifique, ou encore un projet engageant une équipe et déterminé par des conditions de production et par un secteur de diffusion. Un certain nombre de questions se détachent de manière relativement consensuelle, telles la question du répertoire, celle du public ou encore celle du rapport aux pouvoirs publics. Dans leur immense majorité, il s’agit de questions éternelles du théâtre, en tout cas de vieilles lunes, telles la question du répertoire, celle des rapports avec « le Prince » mécène, sous toutes ses « figures réfractées » 64 , ou encore celle du public. Notre propos consistera, au sein de chaque cité, à penser l'articulation entre les positionnements par rapport aux différents critères et à interroger les justifications de ces positionnements. Pour mieux cerner les différents lieux du politique le procédé le plus pertinent nous a paru être de proposer à chaque fois le couple antagonique qui résume la polarisation des options, le choix s’offrant aux artistes dans le large spectre contenu entre ces deux extrêmes.

Notes
63.

Nous nous appuyons notamment sur une série d’ouvrages, collectifs pour la plupart, qui recensent les propos d’artistes et d’universitaires : Outre l’ouvrage de Maryvonne Saison déjà cité, Les théâtres du réel, mentionnons : Yan Ciret, Chroniques de la scène monde, Genouilleux, La Passe du Vent, 2000. Gildas Milin (rédaction) et Florence Thomas (coordination), L’Assemblée théâtrale, Éditions de L’Amandier, 2001. Mises en scène du Monde, Actes du Colloque International de Rennes, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2005.

64.

Robert Abirached, Le théâtre et le Prince, I., L'embellie, (Plon, 1992), Arles, Actes Sud, 2005, p. 66.