ii. Fin des métarécits modernes, de toute pensée systémique, du sujet rationnel et de l’histoire.

‘« Le projet moderne (de réalisation de l’universalité) n’a pas été abandonné, oublié, mais détruit, "liquidé." Il y a plusieurs modes de destruction, plusieurs noms qui en sont les symboles. "Auschwitz" peut être pris comme un nom paradigmatique pour « l’inachèvement » tragique de la modernité. […] A "Auschwitz", on a détruit un souverain moderne : tout un peuple. On a essayé de le détruire. C’est le crime qui ouvre la postmodernité, crime de lèse-souveraineté, non plus de régicide, mais de populicide […]. » 143

La référence à Auschwitz réapparaît dans le monde postmoderne de manière dés-historicisée et conceptualisée, pour devenir la preuve de la vacuité de tout projet émancipateur et de toute conception téléologique de l’histoire orientée vers un progrès, parce qu’Auschwitz constitue la preuve même de l’irrationalité du sujet et de la société. L’effondrement sur le plan individuel de la conception d’un sujet rationnel fait écho à l’effondrement de la possibilité d’une conscience collective et d’une progression de l’histoire vers un monde meilleur. Cette sortie du cadre de la philosophie de l’histoire va être fortement relayée. Paraît en 1989 un article de Francis Fukuyama, dont le titre « La fin de l’histoire » 144 contient une formule qui va marquer les esprits et sera bientôt étoffée dans son ouvrage La fin de l’histoire ou le dernier homme, qui articule précisément le changement de conception de l’histoire et la fin d’une certaine définition de l’humanité. L’histoire qui s’achève, la définition de l’histoire qui est invalidée, c’est en réalité la conception marxo-hégélienne d’une histoire téléologique fondée sur la notion non seulement de progrès technologique mais de progrès de l’humanité.

Notes
143.

Ibid,, pp. 36-37.

144.

Francis Fukuyama, « The end of History », National Interest, summer 1989. Traduction intégrale en Français, Revue Commentaire, n° 47, Automne 1989.