iii. Un aplanissement de l’opposition idéologique des partis de droite et de gauche ?

Le mouvement de professionnalisation de cette classe politique la rend d’autant plus homogène dans son hétérogénéité avec la société civile que le clivage gauche / droite tend à s’estomper entre les grands partis de chaque bord. Cette autre caractéristique de l’évolution politique de ces vingt dernières années a occasionné la soumission de plus en plus grande du pouvoir politique à l’économie érigée en nouvelle Raison guidant le monde. En France, pays où l’opposition historique droite/gauche était très structurante, il s'agit d'un bouleversement profond, avec l'apparition d'un discours du consensus qui semble invalider toute remise en cause radicale des orientations, entendues désormais moins comme des options politiques que comme des évolutions inéluctables et quasi naturelles. 165 Si le fait que l'unique parti de gauche au pouvoir sur la période est clivé en son sein et ne fonctionne donc plus comme une entité polarisée a pu un certain temps fausser l'impression générale, le clivage gauche / droite s'efface en fait moins qu'il ne se complexifie, le parti socialiste ne fonctionnant plus unilatéralement comme parti de gauche, ses dirigeants s'approchant plus des démocrates américains que de l'illustre ancêtre de la SFIO Jean Jaurès :

‘« [Ces années 1980 ] ont été marquées par " la fin sans fin " du politique, une tentative impossible pour y mettre fin, notamment en dépolitisant l’idée de changement. Avant, le changement était un concept politique, lié à un projet, une volonté, une force critique. Les années 1980 inaugurent la « naturalisation » du changement : un certain discours idéologique lui donne la forme d’un phénomène mécanique, inexorable, sorte de fatalisme incapacitant. » 166

Ce constat doit en réalité être nuancé parce que, s’il est incontestable pour la décennie 1980, la situation évolue au cours de la période qui nous occupe, et notamment depuis le début du XXIe siècle, le référendum sur la Constitution Européenne ou l’élection présidentielle de 2007 venant raviver à la fois l’intérêt des citoyens pour la chose politique et leur appréhension clivée de l’échiquier politique. Mais nous verrons que cette évolution ne transparaît que de manière marginale dans les discours comme dans l’œuvre des artistes de la cité du théâtre postpolitique.

Notes
165.

« Le sentiment s’est fait jour, dans les cercles officiels de la politique, que sur un certain nombre de questions importantes il n’y avait pas de réelle différence entre les positions de la droite et de la gauche. » L'objet du consensus est « l’existence d’un lien nécessaire entre économie de marché et démocratie représentative », in Marc Augé, Pour une anthropologie des mondes contemporains, Champs Flammarion, Paris, 1994, p 32.

166.

François Cusset, « La mort des idéologies est l’idéologie des années 1980 », propos recueillis par Eric Aeschimann, Libération, 04 novembre 2006.