ii. L’art : De la représentation historicisée d’un événement à l’expérimentation de l’irreprésentable.

Il ne s’agit plus de représenter l’irreprésentable mais de témoigner pour les uns, et pour les autres – les spectateurs – d’éprouver « l’affreuse expérience » comme le dira Simone de Beauvoir. Le film se fonde sur la notion de témoignage, des bourreaux comme des victimes, et s’ouvre sur ces paroles de Simon Srebnik : « On ne peut raconter ça. Personne ne peut se représenter ce qui s’est passé ici. Impossible. Et personne ne peut comprendre cela. Et moi-même aujourd’hui... Je ne crois pas que je suis ici. Non, cela, je ne peux pas le croire. » Dans ce film C. Lanzmann théorise non seulement l’impossibilité mais le scandale qu’il y a à vouloir comprendre cet événement :

« Cette envie de comprendre est un refus de voir mentalement de face le projet, c’est l’éviter, le contourner pour ne pas voir le génocide. Je refuse cette latéralité. Quand on entre dans la chaîne des raisons, on n’est pas loin de la justification. Le refus de comprendre a été pour moi une condition nécessaire. Cet « aveuglement », c’était la clairvoyance même. »

C’est à ce moment là que revient en force l’idée d’Adorno d’un événement irreprésentable, incompréhensible et fondateur à ce titre d’une rupture radicale pour l’art – fondé sur la notion de représentation – et la culture – fondée sur la notion de civilisation et de progrès. Plus que l’existence des camps d’extermination eux-mêmes, c’est cette interprétation récente de la Solution Finale qui explique le théâtre d’après la catastrophe. Le postmodernisme signe l’échec de l’universalisme, ainsi que l’impossibilité à appréhender le monde dans sa globalité. D’abord parce qu’il est  impossible de saisir d’emblée toutes les données, trop complexes et parce qu’ambitionner une lecture globale du monde est dangereux. C’est ce qui explique entre autres la valorisation des points de vue fragmentaires, kaléidoscopiques sur le monde, fondateurs d’un même mouvement d’une pensée critique et d’une esthétique. « L’art post-»  a été nous semble-t-il bien décrit par l’ancien directeur des Beaux-Arts de 1989 à 1996et professeur de philosophie à l'Université de Paris I, Yves Michaud 180 , et son analyse nous paraît dessiner le cadre théorique global dans lequel situer ensuite le cas particulier du théâtre.

Notes
180.

Yves Michaud, « L’art contemporain dans le post-post », chapitre 2, L’art à l’état gazeux (Stock 2003), réédition Hachette Littérature 2006.