iv. La « dé-définition » de l’art 182  : Fin de la référentialité et autotélicité.

Les années 1970 sont, selon Y. Michaud, celles où l’art se dé-définit et se dés-esthétise, c’est-à-dire perd ses éléments de plaisir et de beauté. 183 L’œuvre explose alors en ses composants, qu’il s’agisse des matériaux – on réfléchit sur le support /la surface – ou alors de la relation entre l’œuvre et l’artiste. Cet éclatement d’ordre spatial pourrait-on dire va de pair avec la fin de la dimension symbolique de l’art, puisque les œuvres « ne visent plus à représenter ni à signifier. Elles ne renvoient pas à un au-delà d’elles-mêmes : elles ne symbolisent plus. Elles ne comptent même plus en tant qu’objet sacralisé mais visent à produire directement des expériences intenses et particulières. » 184 Le dogme moderne s’affaiblit  du fait de la crise du projet social ou humain de l’art mais également du fait de la fin de l’inscription dans une tradition artistique. « C’est la fin de toute référence à une tradition, quelle qu’elle soit : il n’y a plus que de l’après. » 185 La rupture radicale avec les traditions artistiques comme avec le projet social de l’art s’accompagne donc de l’omniprésence de l’auto-référentialité, puisqu’il est devenu inutile de viser un référent du réel ou du passé. « L’art […] ne prétend plus délivrer un message métaphysique, religieux ou philosophique sur le sens de l’existence : il n’en donne plus que sur lui-même. » 186 Ce passage d’un art de la transcendance à l’immanence rejoint d’ailleurs le constat déjà formulé par J.-F. Lyotard à propos de l’architecture post-moderne, qui se fonde sur la citation de formes artistiques passées mais en les découplant de toute inscription dans la filiation à ces références en tant qu’elles s’articulaient à un projet social :

‘« La disparition de l'Idée d'un progrès dans la rationalité et la liberté expliquerait un certain « ton », un style ou un mode spécifique de l'architecture postmoderne. Je dirais: une sorte de « bricolage » ; l'abondance des citations d'éléments empruntés à des styles ou à des périodes antérieurs, classiques ou modernes […] » 187

Les citations sont là désormais pour marquer une distance et non plus une filiation entre les esthétiques et entre les époques. Dégagée de toute inscription antérieure et extérieure, s’agit-il d’un renforcement de l’œuvre d’art dans son unicité et son intégrité ? Non, parce que l’art s’aborde désormais sur le mode de l’expérimentation et non plus du modèle organique ou de l’utopie.

Notes
182.

Harold Rosenberg, La dé-définition de l’art, éditions Jacqueline Chambon, 1992.

183.

Yves Michaud, op. cit., p. 93. 

184.

Ibid, p. 100.

185.

Ibid, p. 96.

186.

Ibid, p. 99.

187.

J.- F. Lyotard, Le postmoderne expliqué aux enfants, op. cit., p. 108.