a. Le triomphe d’une définition légitimiste du « théâtre politique » au moment même où le contenu politique des spectacles tend à s’estomper.

L’on peut considérer les années 1980 comme un triomphe du « théâtre politique » si l’on se fonde sur une définition légitimiste du terme politique, selon la terminologie définie dans notre introduction. Cette définition est assez restrictive, en termes d'acteurs impliqués, puisqu'elle exclut la prise en compte des questions abordées au niveau de ce qu'on appelle la société civile, autrement dit les acteurs publics, pour s’en tenir aux institutions émanant de manière directe et indirecte de l'Etat, et qu'elle se fonde également sur le niveau national et non local. 207 Cette approche élitiste exclut de fait ceux qui, pour des raisons de domination économique, sociale et culturelle, sont exclus de la politique au sens institutionnel et citoyen du terme. Centrer la définition sur le rapport à l’univers politique institutionnel est problématique en ce que cela met par principe l’accent sur la dimension spécialisée de la politique, et ne peut donc qu'aboutir au constat que les profanes sont exclus de cet univers – nous reviendrons sur les enjeux de cette définition dans notre troisième et notre quatrième cités. Appliqué au théâtre politique, le choix de cette définition impliquerait de limiter notre objet d'étude aux pièces et spectacles qui se rapportent au gouvernement de la société dans son ensemble, à l'exclusion de ceux qui traitent de problèmes spécifiques à telle ou telle communauté.

L'approche légitimiste de la politique ne suffit donc pas à envisager le théâtre politique. Parce que le théâtre subventionné ne fonctionne pas comme un théâtre politique officiel, l'Etat français n'ayant jamais imposé un genre esthétique et idéologique à la manière du réalisme soviétique. Parce que la subvention publique n'est pas uniquement le fait de l'Etat et joue aussi – de plus en plus – au niveau local et non national. Et enfin parce que cette définition du théâtre politique comme théâtre public revient à éliminer le théâtre privé de l'étude du théâtre politique, et par exemple à évacuer de notre débat un spectacle comme Elf, la pompe Afrique, joué hors du réseau du théâtre subventionné. Le nombre croissant de co-financements et de co-impulsions au niveau local entre partenaires sociaux et culturels, entre associations et structures culturelles privées ou publiques implique de ne pas limiter notre étude aux spectacles financés par le Ministère, d'où la nécessité pour nous d'envisager également d'autres définitions du politique moins restrictives… et au titre desquelles les années 1980 sont à appréhender comme une période bien plus complexe, de redéfinition du terme même de culture, et de dépolitisation du théâtre et de ses acteurs, artistes et administrateurs.

Notes
207.

Il s'agit d'une approche que l'on pourrait qualifier d'approche « par le haut » conçue par son opposition à la politique par le bas sur laquelle nous allons revenir.