La révolte de mai 68 constitue un phénomène majeur pour l'interprétation de la situation contemporaine, sous deux aspects. D'abord, il s'est agi d'une crise profonde qui a mis en péril le fonctionnement du capitalisme, et qui a été interprétée comme telle par les instances nationales (CNPF) et internationales (l'OCDE) chargées d'en assurer la défense. Et si la crise a été profonde, c'est du fait de l'alliance conjoncturelle des deux types de critiques, en les personnes collectives respectives des étudiants et des ouvriers. Mais surtout, c'est en récupérant une partie des thèmes de contestation qui s'y sont exprimés, que le capitalisme a pu, contre toute attente, désarmer la critique après 1968 245 , en faisant jouer la critique artiste contre la critique sociale :
‘« Par un retournement de politique, l'autonomie fut en quelque sorte échangée contre la sécurité. La lutte contre les syndicats et l'octroi d'une plus grande autonomie sont menés avec les mêmes moyens, autrement dit en changeant l'organisation du travail et en modifiant les processus productifs, ce qui affecte la structure mêmes des entreprises et a notamment pour effet de démanteler les unités organisationnelles (entreprises, établissements, services, départements) et les catégories de personnes (groupes professionnels, occupants d'un même type de poste, classes sociales) c'est-à-dire l'ensemble des collectifs sur lesquels les instances critiques et particulièrement les syndicats, prenaient appui [...] Le monde du travail ne connaît plus alors que des instances individuelles connectées en réseau. » 246 ’Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le Nouvel Esprit du Capitalisme, op. cit., p. 241 et suivantes.
Ibid, p. 274.