Conclusion. Vers une redéfinition de la culture, de l’art et du théâtre.

Les années 1980 paraissent en définitive être celles de l’effondrement d’un projet critique susceptible de mettre à distance le monde existant, et de l’effondrement corollaire de la pensée des rapports sociaux en termes conflictuels, plus encore de classes. Cette évolution génère une redéfinition de l’art et de la culture. L’art perd sa vocation de projet critique et se tourne désormais vers sa propre histoire, la culture étend ses frontières à mesure qu’elle perd sa vocation de projet civilisateur. Mais cette évolution apparaît comme le fruit non seulement des événements internationaux et de leur interprétation, mais également de démarches volontaires et propres au champ de la culture en France, dont le triomphe en tant qu’émanation de l’Etat culturel va de pair avec une dépolitisation des gestionnaires de la culture. Toutefois le contexte idéologique international et national ne suffit pas à expliquer ce changement d’ère pour l’art et la culture, non plus que la professionnalisation des « acteurs culturels ». Les artistes de théâtre eux-mêmes – d’ailleurs souvent membres eux aussi de l’institution, puisque les directeurs d’institutions théâtrales sont dans la plupart des cas des metteurs en scène – ont activement participé à cette évolution. Cela s’explique par des causes récentes – un éloignement progressif avec le militantisme politique de gauche, visible dès les années 1970, et qui est aujourd’hui devenu une rupture pour des artistes de plus en plus dépolitisés et défiants à l’égard de la classe politique. Cela s’explique aussi, et peut-être surtout, par un malentendu atavique entre critique sociale et critique artiste. Si les causes sont aussi profondes que multiples, les conséquences peuvent quant à elles se résumer ainsi : Comment concilier désormais l’interventionnisme financier de l’Etat avec la dépolitisation du théâtre et de ses acteurs ? Car c’était précisément la portée civilisationnelle qui fondait le financement public de la culture en général et du théâtre de service public en particulier. Le registre de légitimation politique de leur pratique que donnent les artistes va connaître durant cette même période une inflexion considérable, que nous nommerons « théâtre poélitique. »