Chapitre 3. Du théâtre politique au théâtre poélitique ?

En préambule, une remarque fondamentale sur ce que nous entendons par « théâtre poélitique » s’impose. C’est un discours de légitimation des artistes plus qu’une donnée observable dans tel ou tel spectacle. Rares sont ceux qui comme Claude Régy, revendiquent un théâtre exempt de toute préoccupation sociale et de tout discours sur le monde :

‘« Lorsque j’ai commencé dans le théâtre, nous étions submergés par cette grande vague du théâtre de l’absurde, qui recouvrait la planète. Puis, très vite, j’ai vu venir le raz-de-marée du théâtre social, avec toutes ces espèces de forteresses navigantes qui ont obstrué le paysage. Instinctivement, poussé par je ne sais quelle force, j’ai cherché des auteurs qui échappaient à cette plaque de choc. Depuis, il me semble que c’est cet impératif qui me fait affirmer que le théâtre n’est utile que s’il contient un explosif insondable, d’un ordre non clair. Que le théâtre doit être le corps conducteur d’un acte de résistance concentré, plus violent et plus calme que n’importe quel discours rationalisé. » 259

Cette notion de « théâtre poélitique » ne constitue donc nullement une grille de lecture à l’aune de laquelle lire tel ou tel spectacle dans son intégralité, et cible bien davantage un mode de légitimation de leur pratique qu’utilisent nombre d’artistes de théâtre :

‘«  (...) Par la reconduction "du geste entier de la convocation" dans un "espace de la mise en commun dans la cité", le théâtre se fait l’emblème de l’ajointement essentiel de l’art et du politique ; le poids de cette "convocation théâtrale" 260 fait alors apparaître la thématique de l’œuvre ou de la proposition scénique comme secondaire, par rapport à cette dimension ontologiquement politique […]. Même s’il ne traite pas directement d’un sujet politique, alors même qu’il peut sembler absorbé par d’autres enjeux, le théâtre reste, comme l’art dans son ensemble, un lieu du politique. » 261

En 1998, la publication du livre de Maryvonne SaisonThéâtres du réel, pratiques de la représentation dans le théâtre contemporain, donne à entendre un ensemble convergent de paroles d’artistes qui toutes revendiquent la définition du théâtre comme art politique alors même qu’elles manifestent une méfiance radicale à l’égard de la politique. La citation qui précède, et plus globalement le propos du livre dans son intégralité, posent une série de questions : Comment les artistes articulent-ils concrètement méfiance à l’égard de la politique et affirmation que le politique est le mode du théâtre ? Sur quelle définition de la politique s’appuie cette revendication contradictoire ? Sur quelles références se fonde l’idée d’un théâtre ontologiquement politique ? Comment persiste-t-elle en contexte post-politique ? Comment comprendre la posture de rejet de la politique et de repli sur l’esthétique ? Encore une fois c’est comme aboutissement d’une trajectoire historique que la posture contemporaine se comprend.

Notes
259.

Claude Régy, « Après la chute », in Yan Ciret, Chroniques de la scène-monde, Genouilleux, La Passe du vent, 2000, p. 78.

260.

Jean Christophe Bailly, « La convocation théâtrale », in Lignes, n°22, juin 1994.

261.

Maryvonne Saison, Les théâtres du réel, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 8.