La parole de la narratrice, elle, ne procède jamais à une montée en généralité et ne construit aucun discours critique globalisant. Elle ne manifeste aucune conscience de classe, même la conscience de soi semble lui faire défaut, aucune prise de distance réflexive à l'égard de ce qui lui arrive, et ces manques paraissent liés à son impossibilité à dire – et donc à mettre à distance – ce qui lui arrive. Ainsi elle ne parvient à mettre aucun mot sur l'événement qui se produit alors qu'elle est seule avec le fils de son amie, et que le spectateur ne peut manquer, lui, de mettre en relation avec l'annonce faite par la narratrice qu'elle est enceinte, à la fin du texte :
‘« Un jour qui suivit / alors que j'étais de nouveau seule avec le soi-disant fils de mon amie, / il arriva encore une fois quelque chose, / que je ne pus m'expliquer vraiment, / mais qui n'était pas tout à fait rien non plus. / Je ne sus pas vraiment mettre des mots sur l'événement, / n'étant pas tout à fait sûre qu'il se soit vraiment passé quelque / chose. / Je ne pus donc pas trouver les mots ensuite / pour en parler avec mon amie / alors que je sentais bien que cela avait été nécessaire. / Ce blocage / de ma parole / me parut catastrophique. » 407 ’C'est la seule occurrence où la narratrice ébauche un discours sur ce qui lui arrive, et ce discours dit l'incompréhension de sa propre situation. Plus globalement, hormis celle de la narratrice, la parole des personnages est toujours indirecte, et leur mutisme renvoie à leur aliénation et à leur incapacité à se dire.
Ibid, p. 27. Nous figurons le passage à la ligne par un slash.