a. Fondements post-modernes du théâtre de E. Bond :

i. Un théâtre post-moderne de l'échec des Lumières et de la raison.

‘« Il y a 300 ans, c’était l’époque des Lumières. Kant dit : « Tu dois raisonner. Tu dois réfléchir. Tu es fait pour ça et aucune autorité ne peut te dire ce que tu dois penser. » Mais nous ne vivons plus dans l’esprit des Lumières. Nous vivons dans l’ombre des Lumières ou dans leur crépuscule. Au lieu de raisonner, nous calculons. Nous ne réfléchissons pas à nos problèmes. Nous trouvons des solutions techniques. […] » 476

E. Bond s'inscrit dans une époque post-moderne, critique les Lumières, la technologie et la raison, dégradées en pur calcul, et auxquelles il oppose la logique de l'imagination : «L'imagination est plus logique que la raison. La raison clone les faits et accumule le savoir-faire pour que la science puisse rendre notre ignorance utile. Quand la raison détruit l'imagination nous devenons fous » 477 La référence au postmodernisme est revendiquée par E. Bond, mais par la négative, comme une donnée subie et non choisie, mais indubitable, et qui informe à ce titre la compréhension de son théâtre :

‘« Je pense que dans nos sociétés modernes la nature de la scène a changé. Elle n’est plus le lieu de l’idéologie. A l’époque des Grecs, la scène était un espace sacré. C’est dans son espace que l’idéologie de la société était représentée et questionnée. C’est encore vrai du théâtre de Molière ou de Shakespeare. Mais nous, nous n’avons plus d’idéologie. Nous sommes devenus des consommateurs. Ce qui reste, peut-être, c’est le postmodernisme. Le postmodernisme dit qu’il n’y a pas de définition, qu’il n’y a pas de valeurs, que tout est au même niveau. Il n’y a plus que de l’ordure en somme, un monde de junkies. Mais en fin de compte un monde fallacieux qui ne tient pas la route intellectuellement car illogique. En effet, si on affirme que la vérité n’existe pas, on a encore besoin de la vérité pour vérifier ce jugement. Donc en tant qu’idée, le postmodernisme est logiquement impossible. C’est une pratique, c’est un marché ; ce n’est pas de la liberté, c’est une forme de toxicomanie. » 478

La place du théâtre a changé, parce que le monde a changé, nous dit E. Bond , parce qu'il est un monde sans idéologies, sans valeurs et sans hiérarchie. La définition qu'il donne du postmodernisme, son interprétation plutôt, que Lyotard récuserait sans aucun doute, nous paraît intéressante en ce qu’elle exprime une contradiction qui nous paraît être travaillée par une grande partie des artistes de théâtre – et des intellectuels - contemporains. E. Bond entérine et récuse d'un même mouvement la vision postmoderne du monde, et de ce fait invalide à la fois le monde existant et toute critique de ce monde, toute possibilité d'alternative donc. Et c'est pour cette raison, sans nul doute, que son œuvre se situe dans un futur apocalyptique.

Notes
476.

Edward Bond, Avignon, juillet 2006, entretien publié dans le dossier Le théâtre d’Edward Bond, publication du Théâtre National de la Colline, décembre 2006, p. 7.

477.

E. Bond, Le Crime du XXIe siècle, op. cit., p. 85.

478.

Edward Bond, Avignon, juillet 2006, entretien déjà cité, p. 5.