b. La dramaturgie bondienne : démultiplication et décomposition des héritages.

i. La question de la fable et l'héritage du théâtre aristotélicien.

Au sein des dramaturgies post-, celle de E. Bond peut sembler radicale sur le plan de la conception de l'humain, mais en revanche elle est à première vue moins novatrice que d'autres sur le plan dramaturgique, puisqu'elle recourt à la structure de la fable, à la différence par exemple d'Atteintes à sa vie. Dans la mesure où E. Bond estime qu'il n’y a plus d’idéologies et de méta-récits, se pose toutefois à lui le problème du contenu de la fable :

‘« S’il n’y a plus d’idéologie sur la scène, le problème est : comment raconter une histoire ? […] Donc tout ce qu’il reste à faire, c’est à raconter une histoire qui traite de la fondation de l’humain en soi. C’est une forme de récit qui est bien plus fondamentale et les Grecs s’en sont approchés au plus près. C’est pourquoi ils ont créé ce que nous appelons aujourd’hui le théâtre. » 498

Alors même qu'il s'inscrit dans la rupture anthropologique, E. Bond convoque la référence théâtrale par excellence, au prix d'une interprétation fausse de ce qu’a été le théâtre pour les Grecs puisque, précisément, il n'était pas question de fonder l'humain en soi hors de tout système politique, et que le théâtre grec a fonctionné comme socle fondant le lien politique en gestation sur des méta-récits. De la même façon, E. Bond fait une autre référence tout aussi incongrue a priori qu'instructive pour comprendre cet univers postpolitique : toujours à partir de l'évocation des Grecs, il convoque la notion d’espace public, dont il regrette la disparition, non pas dans la société mais dans l’homme :

‘« Je fais ce que disaient les Grecs, à savoir : ce qui se passe sur scène, c’est vous. Vous ne regardez pas un spectacle, la pièce est en vous, si en vous demeure un espace public. Mais cet espace public, nous ne l’avons plus, et c’est un autre problème. Nous avons privatisé le moi. » 499

Que ce soit la faute de l'homme ou de la société, le fait est là, incontestable, l'homme n'est plus qu'un individu isolé, l'inverse absolu de l'athénien qui existait prioritairement dans et par sa relation aux autres. 500 Ce que E. Bond conserve de la dramaturgie aristotélicienne, ce n'est donc pas sa vocation politique mais deux éléments, le moment du renversement par un effet violent, et le principe de la catharsis, qu'il transforme et recycle – procédant d’ailleurs a un syncrétisme entre cette référence et celle, pourtant peu compatible a priori, au théâtre épique.

Notes
498.

E. Bond, entretien déjà cité, pp. 5-6.

499.

E. Bond, même entretien, p. 6.

500.

Voir à ce sujet Jacqueline de Romilly, Patience, mon cœur, (1984) Paris, Les Belles Lettres, 1991.