i. Auschwitz comme naufrage de la notion d’humanité.

Catherine Naugrette, dans son sombre et bel essai au titre évocateur, a mis en lumière à quel point Auschwitz opère pour une grande partie des dramaturges contemporains comme fondation radicale d’une post-humanité, ne laissant que des Paysages Dévastés  :

‘« Si l’on s’en tient à l’esprit de la déclaration d’Adorno, on voit se dessiner avec clarté l’un des principes historiques et politiques fondateurs de l’art contemporain. Et surtout peut-être de son esthétique. Son point de départ, ou plutôt de non-retour : Auschwitz. Ce que représente, ou plutôt ne parvient pas à représenter Auschwitz, soit, pour reprendre la notion kantienne souvent citée à propos de la Shoah, le Mal radical. Auschwitz et/ou peut-être ce que l’on pourrait appeler son corollaire technologique : Hiroshima. » 543

Ce qui inscrit le théâtre que nous dirons contemporain en rupture irrémédiable avec toutes les esthétiques précédentes, c’est cette fondation historique et philosophique que constitue la Shoah. Et Catherine Naugrette d’énumérer la longue liste d’artistes pour lesquels « toute pratique artistique est déterminée et définie par Auschwitz » 544 , incontournable et intolérable commencement du monde contemporain : E. Bond bien-sûr, mais aussi Heiner Müller, Didier Georges Gabily, Claude Régy… 545 De même les Voyages au bout du possible de Elisabeth Angel Perez consacrés aux « théâtres du traumatisme de Samuel Beckett à Sarah Kane » s’ouvrent sur une citation sans équivoque de E. Bond : « Je suis un citoyen d’Auschwitz et de Hiroshima. » 546 Ces ouvrages s'inscrivent de la sorte sur les ruines de l'histoire et d'une conception optimiste de l'homme, et c’est sous ce prisme qu’ils décrivent les contours d'un théâtre hanté par la question du mal.

Notes
543.

Catherine Naugrette, op. cit., p. 15.

544.

Heiner Müller, Heiner Müller, Fautes d’impressions. Textes et entretiens choisis par Jean Jourdheuil, texte français d’Anne Bérélowitch, Jean-Louis Besson, Jean Jourdheuil, Jean-Pierre Morel, Jean-François Peyret, Bernard Sobel et Bernard Umbrecht, L’Arche, Paris, 1991, p. 192.

545.

Catherine Naugrette, Paysages dévastés, op.cit., pp. 15-16.

546.

Elizabeth Angel Perez, Voyages au bout du possible. Les théâtres du traumatisme de Samuel Beckett à Sarah Kane, op. cit., p. 11.