iv. Le théâtre postpolitique, un méta-théâtre.

L'analyse du méta-théâtre menée dans d’Oxygène de Ivan Viripaïev ou dans Atteintes à sa vie de Martin Crimp, est une constante du théâtre postpolitique. Nous voudrions développer un dernier exemple, qu’il nous paraît pertinent de souligner ici en ce qu’il explicite le caractère de réponse à la situation politique ouverte en 1989 que constitue cette esthétique. Il s’agit du discours liminaire de Didier-Georges Gabily à sa pièce Ossia, qui se construit autour d’une double trame, dont chacune tient au fait que deux acteurs répètent une pièce différente. La première pièce raconte « quelques moments clés de la vie d’Ossip Mandelstam, poète soviétique disparu en 1938 dans un camp de transit quelque part en Sibérie orientale. » 557 Mais cette trame est discontinue car il « faut imaginer deux acteurs [les mêmes] essayant de répéter dans le même temps une autre pièce ; celle d’un homme, ancien militant ou compagnon de route d’un quelconque parti communiste occidental, rendant visite vers la fin des années 1970 à la femme du poète – et qui a survécu, elle, Nadejda, là-bas, dans un Moscou qui était encore celui de la glaciation. »  558 L’omniprésence du « quelconque », qui vient corriger la précision historique de la référence, dit combien le sort des militants communistes est devenu emblématique de la posture intenable de l’engagement des intellectuels et des artistes. Revenant après la Chute du Mur sur sa pièce écrite en mars 1989, l’auteur précise :

‘« Aujourd’hui que certains murs ont été, dit-on, battus en brèche, peut-être mesurons-nous mieux à quel point cette pièce – morceaux de répétitions offerts à tous les vents – avait une nécessité. Pièce sérielle, elle donne à voir toutes les errances, toutes les fragilités qui présidèrent à sa construction. Et dans l’histoire d’aujourd’hui (trouble, troublée, troublante), n’était-ce pas la façon la plus humble de leur rendre hommage, à eux, Ossip et Nadejda Mandelstam ? On imaginera deux acteurs… » 559

Il s'agit non plus de représenter à distance et avec un regard critique, mais de « donner à voir» non plus tant le monde que l’impossibilité qu’il y a à le représenter, dans une dramaturgie spéculaire à l’infini. Comme chez E. Bond, la mise en question de l'héritage passe aussi et surtout, dans le discours de Gabily, par une remise en question de la notion même de représentation. La mise en crise de la représentation constitue une donnée récurrente des dramaturgies et des écritures scéniques postpolitiques. Pour mieux saisir les enjeux actuels d'une esthétique qui ne représente plus un monde violent mais l’exprime directement, un rappel des conditions d'émergence de l’esthétique de la performance, fondée non sur la représentation de la violence mais sur son expression directe.

Notes
557.

Didier Georges Gabily, « Avant-propos », Ossia, Arles, Actes Sud-Papiers, 2006, p. 7.

558.

Idem.

559.

Idem.