c. Le « cas Avignon 2005 », emblème et catalyseur d’un différend esthétique.

A la fois emblème et catalyseur, l’édition 2005 du Festival d’Avignon 2005 a réactivé la polémique autour du statut du texte sur la scène de théâtre (Olivier Py opposant ainsi théâtre du texte et théâtre d’image dans un article devenu célèbre 600 ). Mais la décision la plus controversée fut le choix fait par l’artiste invité Jan Fabre de centrer la programmation autour d’une esthétique de la violence. Les spectacles représentaient la violence, la mettaient en scène, mais plus souvent encore la montraient directement sur la scène. Il s’agissait dès lors davantage d’exprimer la violence du monde que de la mettre à distance pour la donner à comprendre au spectateur, ce dernier se trouvant souvent en position de voyeur face à des acteurs souffrants réduits par moment au statut de « corps projectile » 601  :

‘« La polémique née l’été dernier au Festival d’Avignon a été suscitée par la représentation d’objets, de situations, d’événements (meurtres, viols, massacres, cannibalisme, violence, sang, excréments et autres sécrétions corporelles, etc.) qui, hors du contexte de la représentation, provoquent des réactions affectives pénibles : crainte, aversion, peur, pitié, horreur, tristesse, répugnance, répulsion. Ainsi, dans Histoire des Larmes, Jan Fabre exhibe les sécrétions du corps humain (larmes, sueur, urine) ; dans Je suis sang, des hommes maladroitement circoncis au hachoir gémissent et glissent dans des flaques de sang ; la violence sexuelle hante Une belle enfant blonde de Gisèle Vienne ; Thomas Ostermeier met en scène Anéantis de Sarah Kane, pièce dans laquelle il est question de viol, d’yeux arrachés et mangés, d’enfant mort dévoré ; Anathème de Jacques Delcuvellerie exhibe tout ce qui, dans la bible, est appel au meurtre. Les spectacles incriminés ont un très fort air de famille. Ils présentent des traits communs suffisamment saillants pour constituer une lignée artistique singulière. […] » 602

Violence verbale, violence psychique mais aussi et surtout physique, violence sexuelle, violence sadique, violence sur la scène et violence de la réaction dans la salle, silencieusement subie ou renvoyée en boomerang par les spectateurs, la violence paraît dans ce théâtre érigée en concept esthétique. Nous allons tenter, à partir d’une analyse de la polémique suscitée par l’édition 2005 du Festival d’Avignon, de discerner les lignes de force et de fracture saillantes du théâtre contemporain avant de tenter de les relier à l’état des lieux du théâtre politique sur la scène française contemporaine.

Notes
600.

Olivier Py, « Avignon se débat entre les images et les mots », Le Monde, 30 juillet 2005.

601.

Formule employée par Marie-José Mondzain lors de la rencontre organisée par France Culture au Théâtre de la Bastille le 15 octobre 2005, et intitulée « Après Avignon, le théâtre à vif. » La présentation de cette rencontre expose clairement les enjeux de la polémique :

« Avignon, 2005 : le public est massivement présent dans les salles et dans la cour d'honneur. Mais une partie de la critique se fait l'écho d'un malaise : les choix des responsables sont contestés. D'autres au contraire y voient le signe d'un renouveau. Avignon, une fois de plus, est au cœur d'une polémique. France Culture a choisi de revenir moins sur cette polémique elle-même que sur les questions qu'Avignon a révélées : y a-t-il une crise du théâtre contemporain ? Entre théâtre, danse, arts plastiques, vidéo et performances, les frontières sont-elles en train de bouger ? L'exigence posée par Vilar d'un théâtre populaire a-t-elle vécu ? Quelle place pour les artistes, pour les programmateurs ? Tous ces sujets seront abordés au cours de ce « Radio libre » diffusé en direct depuis le théâtre de la Bastille où se succèderont tables rondes et débats. France Culture se devait d'être le lieu où s'expriment ces interrogations et où s'esquisseront peut être quelques voies de réponse. »

602.

Carole Talon-Hugon, Avignon 2005, le conflit des héritages, Du Théâtre, Hors-série n°5, juin 2006, p. 3.