d. La violence et la transgression des codes de la représentation, outils politiques du théâtre contemporain ?

‘« Qu’il soit dramatique ou « postdramatique », qu’il se compose de mots, de cris ou de gestes, s’incarne dans le drame ou la performance, le théâtre est devenu, depuis les années 1990, "un théâtre des corps-souffrances", qui vise "à la démonstration publique du corps, de son destin, en un acte qui ne permet pas de séparer de manière sûre l’art de la réalité. Il ne dissimule point que le corps est voué à la mort, il le souligne au contraire. 625 "’ ‘Dans l’immédiateté du théâtre qui s’écrit, qui se joue et s’expérimente aujourd’hui, il n’est plus question, à la limite, d’une image catastrophique du monde, mais d’une vision panique. […] Il ne s’agit plus d’écrire sur la violence, mais bel et bien d’écrire dans la violence. Dans ces dramaturgies de l’au-delà du pire, le mécontentement du monde s’exprime par un style panique. » 626

On assiste dans le théâtre contemporain à un déplacement du mode de présentation des conflits sur la scène de théâtre, à un passage d’une esthétique du conflit et du drame représenté à la mise en présence, autrement dit à ce que nous appellerons une « esthétique de la violence » qui recouvre un spectre plus large que la performance stricto sensu :

‘« Le théâtre se mue en performance ou flirte avec elle. La performance supprime le re- de la représentation : la chose ou l’événement n’est pas représenté mais présenté. Le caractère fictif des objets disparaît alors. Les spectacles de Jan Fabre, sans être à proprement parler des performances, leur empruntent beaucoup […] il ne fait pas de doute que Jan Fabre inonde de véritable sang le plateau de la scène de Je suis sang, et que les acteurs urinent vraiment dans Histoire des larmes. Ces spectacles développent donc des stratégies d’intéressement qui contreviennent à l’impératif kantien de désintéressement. La formule de Jerome Stolnitz définissant l’attitude esthétique comme une « contemplation portant sur n’importe quel objet de conscience quel qu’il soit pour lui seul » 627 est ici inapplicable. » 628

Ce qui change est l’objet représenté, la violence brute, et partant son mode de représentation, plus explicite, moins métaphorique et en apparence intransitive.

Notes
625.

Hans-Thies Lehmann, Le théâtre post-dramatique, traduit de l’allemand par Philippe-Henri Ledru, L’Arche, 2002, pp. 170-171.

626.

Paysages dévastés, op. cit., p. 156.

627.

D. Lories (dir.), Aestheticcs and the philosophy of Art criticism, Houghton Mifflin co., Boston, 1960 ; trad. Franç. in Philosophie analytique et esthétique, Klincksieck, Paris, 1988, p. 105.

628.

Carole Talon-Hugon, op. cit., p. 19.