vii. Un rejet des formes traditionnelles de théâtre politique.

Il apparaît en tout cas évident que si ces artistes prétendent à une dimension politique, c’est dans le rejet ou la mise à distance des anciens modèles. En premier lieu, ce théâtre s’inscrit sans surprise dans le rejet catégorique du modèle théâtral et politique du théâtre à thèse, et revendique d’être un théâtre non de la réponse, mais de la question, ou plus exactement de la démultiplication de questions dont le but consiste à « donner à penser le monde » 650 , « interroger l’humain dans ses contradictions » 651 , et « nous amener à nous poser des questions. » 652 » 653 Mais ce théâtre rejette également la forme traditionnellement privilégiée du théâtre politique dans l’institution théâtrale française, le théâtre populaire – que nous analyserons en détails en tant que seconde cité du théâtre politique. C'est ainsi en se référant à la traditionnelle fonction civique du théâtre, seule légitimation d'un théâtre public subventionné, via une interrogation de la façon dont doit se réinventer aujourd'hui la catégorie du théâtre populaire (catégorie esthétique mais aussi catégorie définie par une certaine attention au public), que Robert Abirached analyse la polémique. 654 Et alors que les détracteurs du Festival d’Avignon, agitant notamment le spectre de Vilar 655 , convoquaient à l’envi la notion de théâtre populaire 656 , les partisans de la programmation paraissent tous d’accord pour rejeter cette référence, le populaire, souvent assimilé dans leurs propos au populisme, prenant une connotation nettement péjorative.  657 L’argument se veut donc pour partie politique, mais il renvoie également comme nous l’avons vu à une conception différente de l’art(iste) et de sa fonction. Un tel théâtre manifeste plus globalement une rupture radicale avec le public et pas uniquement avec le public bourgeois – bien que le public de théâtre à même de comprendre ce théâtre soit d’ailleurs sociologiquement composé des classes moyennes doté d’un bon capital économique et culturel.. Un public bourgeois donc. Enfin, nous l’avons vu, ce théâtre met à distance le théâtre brechtien. S’il rejette donc les principales formes historiques du théâtre politique, qu’en est-il de son ancrage politique direct ?

Notes
650.

G. Banu et B. Tackels, Le cas Avignon, op. cit., p. 21.

651.

V. Baudriller, ibid,, p. 21.

652.

Une spectatrice, op. cit., p. 36.

653.

Carole Talon-Hugon, op. cit., p. 58.

654.

« L'histoire du Festival d'Avignon, qu'on le veuille ou non, à la fois dans la configuration des lieux, dans le style d'accueil du public, dans la demande de ce public, demeure marquée par cette idée d'un rendez-vous avec le théâtre français et avec le théâtre populaire. Théâtre populaire au sens d'un théâtre d'art ouvert à tous, défini par Vilar - tout en étant ouvert à la modernité. Or, depuis six ans, les objectifs d'origine se sont inversés : le Festival est devenu un grand événement international. Avignon a connu une transformation totale de l'esprit du lieu. On l'a bien vu cette année. Le théâtre populaire était à la marge du Festival. Je pense au travail de Jean-François Sivadier, à Olivier Py, à l'absence de Philippe Caubère dans le « in »... […] tous les projecteurs étaient braqués sur des formes, pas inintéressantes d'ailleurs, mais dont l'accumulation était lassante. L'obsession de certains thèmes, autour de la sexualité, de la déréliction et de la violence, a aussi posé problème. […] » Robert Abirached, « Le théâtre de texte confronté à celui des images », Le Monde, 06.09.2005.

655.

« On n’a rien contre la danse, mais plus on diminue l’espace du théâtre, plus on diminue l’espace de l’ensemble. On a le droit de le déplorer. C’est là, pour le coup, que le message de Vilar serait trahi : pas pour une question d’esthétique, mais pour la perte de la réflexion collective qu’apporte le théâtre ». Jean-Pierre Léonardini. Cité par M.-J. Sirach, « Avignon, à quand une révolution au palais ? », L'Humanité, 19. 12. 2005.

656.

Olivier Py organisa le 22 mai 2006 une rencontre au Théâtre du Rond-Point intitulée « Peut-on encore parler de théâtre populaire ? » avec la participation de Christian Esnay, Denis Guénoun et Jean-François Sivadier.

657.

Nous pensons notamment au titre évocateur de l’article de Jean-Pierre Tolochard, « Le ver du populisme », in Le cas Avignon 2005, op. cit., p. 97.