viii. Un théâtre de gauche ?

Les partisans de la programmation du Festival ont abondamment stigmatisé le caractère réactionnaire des détracteurs, le qualificatif portant non seulement sur le jugement esthétique mais sur le bord politique des critiques 658 , omettant le fait que certains commentateurs d’extrême gauche (Jean-Pierre Léonardini 659 ) se trouvaient en l’occurrence d’accord avec des journalistes écrivant dans la presse de droite (Armelle Héliot.) Dans la mesure où les artistes eux-mêmes incitent comme nous l’avons vu à ne pas appréhender leurs spectacles en les découplant d’une démarche existentielle, notre analyse de la dimension politique de leur théâtre ne saurait donc faire l’économie de leurs faits et gestes publics extra-scéniques. A ce titre la perception de Jan Fabre, qui voit dans l’édition 2005 « un festival contre le populisme et contre la droite, par les questions qu'il a soulevées » 660 et estime avoir lui-même combattu « sur les barricades » 661 , se doit selon nous, de tenir compte de son attitude à l’égard d’un combat politique qui, bien que très peu médiatisé et marginalisé, étouffé par la rumeur de la polémique artistique, fut cependant âprement mené durant cette même édition, le combat des artistes et techniciens du spectacle contre le nouveau protocole des intermittents. Quand il revient sur le Festival, Jan Fabre rappelle incidemment que le spectacle Histoire des Larmes  fut « créé à Avignon dans des circonstances difficiles (la première fut bloquée pendant quarante minutes par les intermittents.) » 662 La cible politique de Jan Fabre est l’extrême droite flamande (le siège de sa compagnie Troubleyn se situe d’ailleurs sur les terres nationalistes du Vlaams Belang) mais pour le reste, ses prises de positions politiques paraissent peu abondantes et non systématiquement ancrées à gauche, ce dont témoigne également son discours sur l’art, peu conforme aux positions traditionnelles de la gauche en matière culturelle. En dernière analyse, si la violence de ce théâtre peut être considérée comme politique, c’est en tant qu’elle constitue une crise de la représentation théâtrale qui serait le reflet d’une crise de la (représentation de la) politique.

Notes
658.

Nous pensons notamment aux propos de Bruno Tackels stigmatisant la « France moisie » et mettant explicitement en relation la polémique du Festival, le Non au référendum et l’accession au Second tour de l’élection présidentielle de Jean-Marie Le Pen le 21 avril 2002, lors de la rencontre organisée le 15 décembre 2005 par Chantal Meyer-Plantureux à la Maison de la Photographie, en présence de Bruno Tackels, Georges Banu, Jean-Pierre Léonardini et Régis Debray.

659.

L’idée d’être jugé réactionnaire stimula s’il en était besoin la verve du critique communiste : « Dans le fond, c’est la démarche du critique qui vous dérange. Avant, j’étais stalinien ; aujourd’hui, je serais un vieux réactionnaire. On ne peut défendre un Festival médiocre en soutenant qu’il témoigne d’une rupture épistémologique. Surtout que Jan Fabre n’est pas un perdreau de la dernière nichée : s’il représentait l’avant-garde, ça se saurait ! » Jean-Pierre Léonardini. Cité dans « Avignon, à quand une révolution au palais ? », op. cit.

660.

Article intitulé « Avignon : Jan Fabre réplique » mis en ligne sur le site de La Libre Belgique le 18/11/2005.

661.

Idem.

662.

Idem.