Enjeux esthétiques et politiques de la « crise de la représentation » à l'œuvre dans la cité du théâtre postpolitique.

La crise de la représentation esthétique à l’œuvre dans la cité du théâtre postpolitique peut s’entendre comme la conséquence d’une crise de la représentation politique, à la fois au sens où la classe politique censée représenter le peuple dans notre démocratie est remise en cause par la société civile, artistes compris, et au sens où l’idée même d’une représentation du monde est également remise en cause. Le fondement de la représentation théâtrale s’est donc affaissé à mesure que s’est effondrée l’idéologie moderne née des Lumières : la foi dans la raison et dans l’humanité, dans l’histoire et dans le progrès, fondait la possibilité d’une action politique de type révolutionnaire, visant à changer le monde. Et le théâtre pouvait alors puiser dans cet espoir pour fonder une représentation conçue comme propédeutique de la réalité, voire de l’action politique. A l’inverse, la cité du théâtre postpolitique, dont le principe supérieur commun est un pessimisme anthropologique et polique radical, s’inscrit dans le mouvement philosophique post-moderne et réinvestit fortement la référence à la Shoah désormais déshistoricisée, considérée comme la preuve non plus de la nécessité de l’action politique mais de l’impossibilité de l’humanisme, de l’histoire et de la politique. Ce pessimisme anthropologique laisse ouvertes deux postures. La première consiste en un repli sur la sphère esthétique : il ne saurait y avoir de révolution qu’esthétique désormais et le référent du réel est tout simplement évacué. Cette posture nous intéresse en tant que discours de légitimation car l’argumentation s’articule au politique pour justifier l’évacuation de la politique. L’autre posture nous intéresse d’autant plus qu’elle est non seulement largement présente en tant que discours de légitimation mais aussi en termes de spectacles. Elle consiste à regarder le monde non plus en face mais de l’intérieur, dans un abandon de la position surplombante. Plusieurs options se dessinent alors : se focaliser sur le changement de paradigme du théâtre et dire l’impossibilité de dire le monde, ou exprimer le caractère incohérent et contradictoire du monde. Cette volonté se reflète alors dans l’abandon de la fable ou du personnage transformés en kaléidoscope. La décomposition revêt une forte portée intertextuelle et l’on peut à ce titre qualifier le théâtre postpolitique d’esthétique des ruines.

Ce théâtre qui théorise la rupture radicale n’en est pas moins pétri de références à l’histoire théâtrale, singulièrement au drame, qu’il soit aristotélicien ou épique, et il fait jouer l’un contre l’autre ces deux modèles, comme des citations dont le recyclage ne sert qu’à creuser davantage le fossé anthropologique infranchissable qui les en sépare. Cette dé-construction généralisée est aussi source de violence. La décomposition de la fable et du personnage, ajoutés à l’abandon du principe du point de vue globalisant et distancié, engendrent des écritures scéniques qui fragmentent le sens et les êtres, qui ne représentent plus mais présentent la violence, éprouvée par l’acteur et par le spectateur. Le théâtre postpolitique déconstruit donc également le pacte scène / salle, et cette nouvelle réception programmée par les spectacles, qui mise sur l’inconfort voire le choc, génère parfois des malentendus mais aussi des rejets. Car l’idée que la présentation du pire l’empêchera d’advenir, l’ambition du théâtre postpolitique de fonctionner comme instrument de veille en quelque sorte, n’est pas comprise par tous, d’autant moins que les spectacles ne travaillent pas toujours la question de la jouissance qu’il y a à présenter « le Mal. »

Le théâtre postpolitique contemporain peut en définitive se définir par l'ambivalence de sa relation au politique, référence maintenue pour être sans cesse minée de l'intérieur, centre en creux d'esthétiques et de discours de légitimation qui, soit opèrent sur le mode du repli, soit sur le mode méta-discursif, soit sur le mode de l'atomisation du politique et de l'humain, décrivant un monde fragmenté comme l'est l'humanité. Davantage qu'un théâtre qui interroge le sens de l'humain, il nous semble que c'est un théâtre de l'inhumanité qui veut témoigner de l'absence de sens, de l'impossibilité d'un sens, et donc d'une histoire, comme de l'Histoire – un théâtre politique paradoxal, donc. Toute une série d'événements politiques internationaux depuis la Seconde Guerre Mondiale : les totalitarismes et l'effondrement de l'idéologie marxiste – mais également des phénomènes politiques plus diffus, à l'échelle nationale – la crise démocratique de la Vème République, l'effondrement du militantisme et des corps intermédiaires, l’aplanissement du clivage gauche / droite, la professionnalisation et la dépolitisation des acteurs culturels et des artistes – expliquent l'ampleur du phénomène que recouvre aujourd'hui sur les scènes comme dans les débats le théâtre « d'après la catastrophe » et plus largement l'ensemble des dramaturgies, écritures scéniques et discours d'artistes que nous avons regroupé sous le terme « théâtre postpolitique. » Mais c'est moins en tant que conséquence inéluctable qu'en tant qu'interprétation idéologique de ces données socio-historiques que le théâtre postpolitique doit être pensé. En effet, le théâtre – artistes et membres de l’institution théâtrale – ont activement participé à la redéfinition de l’art et de la culture. Et, à partir d’une interprétation différente des mêmes événements, et d’une réflexion parallèle sur la notion d'humanité, tout un autre pan du théâtre contemporain français va poser la nécessité ravivée d'un théâtre politique oecuménique, au travers notamment de la référence à la notion de service public.