b. Une formule polysémique selon les utilisateurs et selon les époques.

Au-delà de l’effervescence conjoncturelle, le nombre de ces rencontres témoigne ainsi de la vivacité des réflexions autour de la formule, mais aussi des ambiguïtés qui l’entourent. S’impose le constat initial d’une omniprésence de la référence au « théâtre populaire » parmi les artistes, les critiques, mais également celui d’une certaine familiarité du public de théâtre voire du grand public avec le terme. Au sein de la galaxie de formules connexes à celle de « théâtre politique », celle de « théâtre populaire » peut ainsi paraître de prime abord la plus universelle de toutes, car employée par le plus de catégories d’utilisateurs, mais tous ne désignent en réalité pas le même objet. Les chercheurs renvoient à une réalité historique, qu’ils tentent de circonscrire, de dater et d’appréhender dans son évolution et sa complexité, tandis que les artistes, le public et le grand public font jouer la référence en termes de valeur, le plus souvent associée au nom de Vilar et/ou à l’idée d’un théâtre de service public, parfois à ceux de Copeau, du Cartel ou de Rolland, et à l’idéal du Théâtre du Peuple de Bussang, toujours en activité aujourd’hui. 674 L’expression sert parfois alors le culte nostalgique d’un âge d’or au nom duquel juger – et sévèrement encore – le présent, et l’histoire se fait en ce cas volontiers mythe. La formule est enfin utilisée par les pouvoirs publics, car elle sert aujourd’hui encore de fondement au financement public du théâtre.

Or l’idéal de démocratisation de l’accès au théâtre, qui avait présidé à son institutionnalisation comme service public, a fait long feu depuis des années, et la situation est telle à présent que se pose avec une acuité sans précédent la question de la légitimité du financement public, quand seulement 16 % de la population va au théâtre. 675 C’est ce facteur essentiel qui explique qu’après l’élargissement massif de la notion de culture et « l’idéologie esthétique » 676 des années 1980, les années 1990 soient celles d’une réaffirmation du « théâtre populaire » tant par les pouvoirs publics que par certains artistes reconnus dans l’institution. Deux moyens essentiels sont ainsi convoqués, d’une part l’articulation des formules « théâtre d’art » et « théâtre populaire » soucieux de sa vocation de service public, et d’autre part l’élargissement des territoires de l’action culturelle prise en charge par les pouvoirs publics.

Notes
674.

Bien que le Théâtre du Peuple de Bussang soit régi par une association loi 1901, et ne s’inscrive pas directement dans l’institution théâtrale, il bénéficie de subventions des DRAC et le bâtiment est propriété de l’Etat. De plus, ce théâtre dont les créations sont toujours issues d’une collaboration entre amateurs et professionnels, s’inscrit de plus en plus fortement depuis la fin des années 1990 dans le paysage théâtral institutionnel français, par le biais de ses directeurs et des metteurs en scène qu’il accueille. Citons comme hôtes du Théâtre du Peuple de Bussang des metteurs en scène comme Olivier Py, Cécile Garcia-Fogel, Jean-Yves Ruf, Joël Jouanneau, des pièces de Biliana Srbljanovitch ou Hanoch Levin, des spectacles d’élèves du TNS. Les mises en scène de Christophe Rauck, directeur du Théâtre de Bussang de 2003 à 2006, sont jouées régulièrement au Théâtre de la Cité Internationale à Paris, et son prédécesseur François Rancillac est un auteur et un metteur en scène connu et reconnu. On peut toutefois souligner le décalage qui se fait jour entre les versions des spectacles créées sur place et celles, uniquement composées de professionnels, qui partent en tournée.

675.

Source : Janine Cardona et Chantal Lacroix, Les Chiffres clés de la culture, Paris, La Découverte, 2006.

676.

Formule de Philippe Ivernel, in « Postface », in Paul Biot, Henry Ingberg et Anne Wibo (études réunies par), Le théâtre d’intervention aujourd’hui, Etudes Théâtrales, n°17, 2000, p. 138.