b. La tragédie grecque ou le théâtre comme « assise mentale » du politique ?

Notre réflexion prend appui sur les travaux de Christian Meier, qui articulent la naissance du modèle politique démocratique en Grèce ancienne (Ve siècle av. J.-C.) à la naissance du modèle esthétique de la tragédie. Dans son ouvrage La tragédie grecque comme art politique 685 l'auteur définit la tragédie grecque comme art politique moins par les thèmes qu’abordent les pièces – quoique l'auteur étudie les références à l'actualité politique athénienne et leurs fonctions dans différentes tragédies d’Eschyle, Sophocle et Euripide – que par le fait que l'esthétique tragique et les représentations théâtrales telles qu'elles rythment la vie publique athénienne constituent le cadre dramaturgique et l'espace-temps dans et par lesquels s'élabore ce qu'il nomme « l'assise mentale du politique. »

Meier postule que les représentations des tragédies remplissaient une fonction proprement politique et s'adressaient aux spectateurs non en tant qu'amateurs de théâtre mais en tant que corps civique, voire que les tragédies oeuvraient à constituer la communauté en corps civique, faisant se rencontrer « la pensée traditionnelle, mythique, et la nouvelle rationalité, la culture populaire et la culture des élites. Ne peut-on penser qu'elle a servi à rejouer sans cesse sur le mode du mythe ce qui occupait le citoyen en tant que tel ? » 686 Toute la démonstration de C. Meier procède d'une comparaison entre deux lieux publics de la Cité dont il postule qu'ils fonctionnent sur le même mode, l'agora et le théâtre. Il importe donc d'examiner en lui-même le modèle de l'agora pour mieux comprendre les fondements mais aussi les limites éventuelles de la comparaison avec le théâtre en Grèce ancienne, mais aussi et surtout la légitimité qu'il y a à transposer une telle comparaison à l'époque politique et théâtrale contemporaine.

Notes
685.

Christian Meier, De la tragédie grecque comme art politique, trad. Marielle Carlier, Histoire, Les Belles Lettres, 1999.

686.

Ibid, p. 10-11.