v. Le modèle aristotélicien de dénouement.

Le drame aristotélicien fait de la catastrophe, du dénouement, la fin du drame au double sens de son terme et de sa signification. Toute la question porte alors sur la direction de ce renversement, qui oriente la signification du dénouement. Le chapitre 18 de La Poétique laisse indifférent le fait que le passage se fasse du bonheur vers le malheur ou au contraire du malheur au bonheur. 709 Mais, comme nous le rappelle Hélène Kuntz 710 , le chapitre 13 postule en revanche un sens unique à ce renversement puisqu’il faut que « le passage se fasse non du malheur au bonheur, mais du bonheur au malheur » et c’est cette direction qui fonde la signification politique de la tragédie aristotélicienne. Toute l’esthétique d’Aristote, et la raison pour laquelle la tragédie constitue un art politique, tient au fait qu’elle « maintient une tension irrésolue entre logique et illogique, sensé et insensé qui fonde son caractère tragique ». 711 L'ordre du logos ne s'oppose pas à celui du deînon et la discussion rationnelle entre citoyens n'invalide pas la nécessité de la catharsis. Le poétique reste le substrat du politique, dont il rappelle à la fois la fragilité et la nécessité. 712 L'analyse de Myriam Revault d'Allonnes permet donc de penser non seulement les points communs mais aussi les distinctions fondamentales entre agora et théâtre comme lieux, comme modes de parole et comme types d'expérience. Ni identiques ni opposés, ces deux modes se complètent et leur complémentarité est nécessaire à l'élaboration du politique, à l'échelle individuelle et collective. Myriam Revault d'Allonnes conclut son article par une question qui vise à élargir la portée historique de la leçon d'Aristote. Néanmoins elle tempère la possibilité d'une comparaison rigoureuse, précisant notamment que « cette figure historico-théâtrale de la catharsis n'est pas universalisable comme telle. » 713 Le théâtre aristotélicien ne saurait donc être considéré comme modèle transposable du fait que la catharsis opère sur le spectateur dans le cadre d’un système démocratique en cours d’élaboration. De plus La Poétique laisse à la périphérie la question de la représentation, il y a pour Aristote une prééminence de la composition du drame sur le spectacle comme source de l’émotion tragique. 714 La référence à la tragédie athénienne telle que conceptualisée par Aristote ne saurait donc comme telle constituer un modèle dramaturgique non plus qu’un modèle scénique pour le théâtre contemporain. De fait, pour séduisante que soit la comparaison entre poétique et politique, ou celle avoisinante entre théâtre grec et Agora comme lieux non seulement de discussion politique mais de fondation du politique comme champ d'action et ordre régissant la vie collective - qui tendrait, par extension du modèle à tout théâtre héritant du théâtre grec, à prouver le caractère ontologiquement politique du théâtre - n'en doit pas moins être tempérée par de nombreuses restrictions.

Notes
709.

Aristote, La Poétique, chap. 18, 1455 b 26-29.

710.

Hélène Kuntz, op. cit., p. 14.

711.

Ibid, p. 21.

712.

Myriam Revault D’Allonnes, op.cit., p. 78.

713.

Ibid, p. 74.

714.

Aristote, La Poétique, op. cit., chap. 14, 1453 b 1-7.