La validité du théâtre grec comme modèle d'un théâtre à fonction politique en tant qu'espace public est donc intrinsèquement discutable. Et ces restrictions constituent de plus autant d'arguments pour souligner les limites de la référence actuelle au modèle grec. La démocratie grecque n'est pas comparable avec notre système démocratique, fondé sur le suffrage universel et sur un principe de représentation. Dans Naissance du politique, Christian Meier insiste d'ailleurs sur l'élément de différenciation majeure entre la démocratie grecque et les démocraties modernes que constitue la difficulté à distinguer communauté et État dans le modèle grec : « la communauté était la constitution, elle ne l’avait jamais été à ce point auparavant, et ne le serait jamais plus. » 725 Plus globalement, J.-C. Bailly insiste lui aussi sur le fait que le modèle du théâtre tragique grec nous hante à la manière d'une ombre aussi omniprésente qu'immatérielle désormais, à la fois parce que la représentation politique a changé, du fait du changement d’échelle de la « cité » – qui n’en est plus une de ce fait – et parce que la place du théâtre dans la cité a changé. 726 Il est effectivement incontestable que le changement d'échelle de la Cité ait été cause d'un bouleversement dans le mode de gestion de la chose politique. Mais le changement n'a-t-il pas affecté plus largement la place du politique dans la société ? Le Ve siècle av. J.-C. est une période de révolution des institutions mais aussi de révolution de la place du politique dans la société, le politique étant pour cette communauté civique « l'élément le plus important de la vie ». 727
Christian Meier, La naissance du politique, Paris, Gallimard, coll. nrf essais, 1995, p. 187.
J.-C. Bailly, op. cit., p. 57.
C. Meier, De la tragédie grecque comme art politique, op.cit., pp. 11-12.