e. La comédie latine du IVe siècle av. J.-C., un théâtre étranger à nos modes de représentation esthétiques et mentaux, ou l’ancêtre d’un théâtre opprimé pour les opprimés ?

i. Le théâtre latin, un théâtre de divertissement populaire anti-politique ?

De prime abord, à la différence de la tragédie grecque, le théâtre latin, qu’il s’agisse de ce qui est représenté sur la scène, du public, ou du cadre de la représentation, semble coupé de la vie politique, et « ne concerne pas les Romains en tant que citoyens. Ce qui se passe au théâtre est étranger à la vie politique. » 751 En témoignent la composition du public et le contenu des spectacles représentés : « le public du théâtre est là pour se divertir et non pour réfléchir sur les problèmes de l'Etat ou même à de graves questions morales. » 752 Sont également révélateurs le statut social des acteurs, frappés d’infamie, ainsi que l’organisation et la fonction des festivités théâtrales dans la vie publique romaine. Enfin, la comédie latine est un spectacle qui s’adresse à la sensibilité musicale, aux sens et non à l’intellect, ce qui peut être interprété comme la preuve que « le public romain est ainsi à l'inverse d'une assemblée politique : il est passif, assis, disponible au plaisir des sens. » 753 Le théâtre latin apparaît donc comme un théâtre de divertissement populaire de la masse, dépourvu de toute prétention à constituer une quelconque assemblée politique, comme un théâtre qui s’adresse certes à la collectivité, non pas en tant que corps civique actif mais en tant que masse passive, en tant que « peuple en vacance du politique et du sérieux » 754 . Ce phénomène est amplifié par le fait qu’il s’agit d’un théâtre qui parle aux sens et non au sens (au logos.) De fait le principe moteur de ce théâtre n’est pas la mimesis, « le théâtre latin ne représente pas, il présente un ailleurs fabriqué sur la scène pour le plaisir et l'oubli des spectateurs. » 755 Peut-on déduire de cette radicale altérité d’avec le modèle grec de théâtre politique que le théâtre latin est un théâtre non politique, voire anti-politique ? Cette question semble se déplacer si l’on examine plus avant la question des enjeux esthétiques de ce théâtre.

Notes
751.

Le théâtre latin, Florence Dupont, Cursus, Armand Colin, 1988, p. 10.

752.

Idem.

753.

Idem.

754.

Ibid, p. 15.

755.

Ibid, p. 11.