ii. Le théâtre latin : Théâtre-événement de la représentation vs théâtre-monument textuel.

Dans le théâtre latin 756 le texte fonctionne comme trace de l’événement théâtral, et l'énonciation théâtrale à Rome est de l'ordre du performatif. 757 Le théâtre latin ne représente pas les actions de personnages écrits, et le texte n’a d’existence dans la comédie latine que sur le mode de la trace – une trace problématique, puisqu’elle demeure indéchiffrable tant que son étude n’intègre pas la situation d’énonciation. Et c’est ce qui explique la difficulté qu’il y a pour nous à comprendre les comédies latines, habitués que nous sommes depuis Aristote à analyser le théâtre essentiellement à partir du texte. 758 Ce serait donc le soubassement aristotélicien de la tradition théâtrale, réactivé par le théâtre classique, qui nous empêcherait de prêter l’attention qu’il mérite à un théâtre non fondé sur le texte. Le théâtre latin, à la différence du théâtre grec, nous ôte toute illusion de proximité. 759 Les re-lectures du théâtre latin, par les contresens dont elles font preuve, nous renseignent en définitive davantage sur le biais de notre regard que sur ce théâtre. Mais c’est précisément le décalage opéré par ces relectures, ainsi que la coexistence d’interprétations contradictoires de cet objet historique, qui intéressent notre propos. En effet, la comédie latine peut être considérée comme la matrice d’un théâtre populaire entendu comme divertissement grand public qui délasse et détourne des spectateurs passifs de leurs préoccupations politiques. Dans cette mesure la comédie latine peut être considérée comme la première occurrence d’un spectacle qui dissout la communauté politique au lieu de la fonder.

Mais, si l’on se focalise cette fois sur sa réception, la comédie latine peut être considérée à l’inverse comme la première manifestation d’une déconsidération du théâtre qui représente sur la scène les classes populaires et réforme de ce fait le théâtre, par la remise en question du primat du texte au profit du corps. La comédie latine peut donc être considérée comme le point origine d’un théâtre politique entendu comme théâtre « du bas », en ce qu’il met en scène non plus des figures héroïques issues des grandes familles mais le bas de la société, selon une hiérarchie qui opère à la fois en termes de catégories sociales et morales, superposant discriminations matérielles et symboliques, puisque ce théâtre met en scène les mauvais penchants de l’homme comme les dysfonctionnements de la société. Et le qualificatif dépréciatif opère également pour qualifier ce théâtre lui-même, relégué au bas de l’échelle des genres théâtraux parce que centré sur le corps – fini et forcément faible et coupable – et non sur le Verbe, image de la part divine de l’homme. Coïncidant initialement de manière non-problématique avec la tragédie, la comédie s’est donc trouvée progressivement marginalisée en tant que théâtre mettant sur la scène ce qui n’y avait plus droit de cité, l’ignoble, l’ob-scène, l’innommable.

Notes
756.

Contrairement au théâtre athénien pour lequel il est possible de nuancer les sources du fait de leur multiplicité, Florence Dupont constitue l’unique autorité en France sur le théâtre latin, ce qui nous contraint à la suivre quand elle dénie notamment à la comédie latine du IVème siècle av. J. C. tout caractère politique. C’est la raison pour laquelle nous n’insisterons pas sur la description de ce théâtre.

757.

Idem.

758.

« Peut-on lire la comédie romaine ? », Florence Dupont, in Théâtralité et genres littéraires, Publications de la Licorne, Hors Série, colloque II, pp. 39-40.

759.

Florence Dupont, Le théâtre latin, op.cit., p. 9.