2. Le théâtre populaire : du peuple à la nation, de la relation directe artiste-public à la notion de service public.

Introduction. « Le théâtre populaire », une formule polysémique et polémique.

Chez les artistes contemporains qui se réfèrent à l’idée d’une vocation politique ontologique du théâtre, la référence au « théâtre antique » constitue une fondation évidente, mais leur discours de légitimation convoque tout autant la notion de « théâtre populaire » telle qu’elle s’est sédimentée depuis la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1960 – et dont les représentants les plus illustres ont eux-même revendiqué la référence au théâtre antique. La référence à Vilar constitue en général l’autre passage obligé de la cité du théâtre politique œcuménique, le TNP étant lui aussi élevé avec le recul du temps au rang de mythe. C’est le cas pour A. Mnouchkine, souvent décrite comme la fille spirituelle de Vilar, mais aussi pour O. Py, citant Vilar lors de la rencontre organisée par lui autour de la question : « Peut-on encore parler d’un théâtre populaire ? » 760 Ce qui implique de s’interroger sur la définition de ce modèle, ainsi que sur les modalités de sa transposition à l’époque contemporaine. La formulation interrogative de O. Py témoigne bien du fait que, l’histoire étant plus récente, le décalage entre le mythe et la réalité historique est davantage présent à l’esprit des héritiers, et les ambitions du théâtre populaire de service public sont l’objet de leurs interrogations les plus vives. La définition que donne Patrice Pavis du théâtre populaire dans son Dictionnaire du théâtre témoigne dans sa structuration même, de la difficulté à synthétiser une acception unie et unique, et du besoin de repoussoirs face auxquels le théâtre populaire se définit comme une valeur positive :

‘« Le plus simple, pour démêler l’écheveau, est de déterminer à quelles notions celle de théâtre populaire s’oppose, tant il est vrai que le terme a un usage polémique et discriminatoire :
- Le théâtre élitiste, savant, celui des doctes qui édictent les règles.
- Le théâtre littéraire qui se fonde sur un texte inaliénable.
- Le théâtre bourgeois (boulevard, opéra, secteur de théâtre privé, du mélodrame et du genre sérieux).
- Le théâtre à l'italienne, à l'architecture hiérarchisée et qui situe le public dans la distance.
- Le théâtre politique qui, même sans être inféodé à une idéologie ou à un parti, vise à transmettre un message politique précis et univoque. 761

Se découpent en ombres chinoises les contours d’un théâtre populaire marqué par son caractère non élitiste, proche du public, de tous les publics, et corrélativement non centré sur le texte, et éloigné des codes du théâtre bourgeois. Mais la définition de P. Pavis construit par ailleurs une opposition avec le théâtre politique, en termes de sens et de message, qu’il importe d’évaluer. Pour mieux cerner les contours du « théâtre populaire », la précision des différentes acceptions du mot « peuple » constitue un préalable nécessaire.

Notes
760.

Rencontre du 22 mai 2006 animée par Olivier Py au Théâtre du Rond Point, déjà citée.

761.

Patrice Pavis, Dictionnaire du théâtre, Colin, 2002, pp. 378-379.