i. Le peuple, communauté géographique, linguistique et culturelle ou communauté politique ?

La définition du peuple comme « communauté géographique, linguistique et culturelle », pose la question de l’extension de l’appartenance, qui va de l’échelle régionale à l’échelle nationale. Le théâtre populaire fera au cours de son histoire jouer ces deux échelles, régionale et nationale. Mais cette dernière renvoie à une autre acception du terme « peuple », dans laquelle l’appartenance de fait, non choisie, débouche sur l’idée d’une appartenance commune construite, à une entité : l’Etat-Nation. Remontant quant à elle au XVIIIe siècle et aux réflexions séminales de Rousseau et Montesquieu, la seconde définition du terme fait du peuple un sujet politique. Mais ici encore, l’appellation recouvre des réalités fort diverses. Les principes de la Révolution Française vont progressivement pénétrer les esprits puis les institutions, et celui de « souveraineté du peuple » semble pleinement constitué au XIXesiècle. Mais la césure essentielle a lieu autour de 1880, au moment de l’institution de cette souveraineté, puisque « désormais la République et le suffrage universel (masculin) sont acquis. Jusqu’à cette date, le peuple fonctionnait comme le moteur mythique de la lutte républicaine. Avec la République et le suffrage universel, le pouvoir du peuple est-il pour autant instauré ? » 763 Pour ceux qui croient au modèle de l’Etat-Nation républicain, le « peuple-nation » qui désigne l’ensemble des citoyens, va bel et bien constituer la « source de la légitimité nationale. » 764 Pour les autres, tant qu’une véritable révolution institutionnelle n’aura pas eu lieu, l’idée de souveraineté du peuple ne saurait constituer qu’une illusion destinée à endormir la révolte des opprimés du système politique. On voit ici comment ont pu se superposer à la fin du XIXe siècle la définition du peuple comme catégorie sociale et comme sujet politique. La question qui se pose devient en fait celle du lien à établir entre peuple et démocratie, et le clivage entre ceux pour qui les deux termes sont synonymes et ceux qui considèrent que la dite démocratie signifie « le peuple advenu mais dès lors écarté en tant qu’il était « Peuple. » » 765

Notes
763.

Jean-Louis Robert, « Le peuple des populistes », in Le peuple dans tous ses états, Société et Représentations, n°8, Paris, CREDHESS, 1999, p. 282.

764.

Jean-Louis Robert et Danielle Tartakowsky, « Présentation », ibid, p. 9.

765.

Ibid, p. 10.