ii. De la nation au nationalisme, et du théâtre de la nation au théâtre nationaliste. 

Les critiques du pouvoir émanant des philosophes des années 1970 (M. Foucault notamment) incitent à réactiver le souvenir de la trouble naissance du théâtre de service public, et à entacher toute référence à l’idée de nation dans la bouche d’un grand nombre d’intellectuels et d’artistes. Citons pour l’exemple les propos de François Regnault, qui va jusqu’à refuser toute référence du théâtre à la notion de citoyenneté française, récusant même le droit du sol  : « […] La citoyenneté. La française, sans doute, car sinon de quoi parlez-vous ? Si c’est la française, tenons-la, voulez-vous, pour purement contingente […] et le théâtre, qui ne connaît [pas] de "français" n’en n’a cure, à moins de sombrer dans l’abjection de l’identité nationale » 854 L’idée que toute référence à la nation contient en germes les ferments du nationalisme xénophobe alimente donc aujourd’hui encore le discours des détracteurs contemporains du théâtre populaire, comme en témoignent la dénonciation du « ver du populisme » 855 au moment de la polémique d’Avignon en 2005, que nous évoquions en introduction de cette partie. Très récemment encore, plusieurs communications et interventions de chercheurs allaient dans ce sens lors du colloque Théâtres Politiques, organisé par Christine Douxami à l’Université de Franche Comté à Besançon les 03, 04 et 05 avril 2007.

Lors des tables rondes des 04 et 05 avril réunissant des professionnels de la culture (metteurs en scène et directeurs d’institutions culturelles), le débat s’est axé autour du rôle des pouvoirs publics, mais le point de vue différait de celui des chercheurs. Une distinction est en effet rapidement apparue chez les artistes entre les subventions locales, perçues comme contraignantes (et éventuellement coercitives, interdisant toute critique du pouvoir) et les subventions de l’Etat, considérées par tous les artistes à une exception près – Jacques Livchine, pourtant le mieux doté de la région – comme protectrices. Pour Daniel Boucon, directeur du Théâtre de l’Espace, scène nationale de Besançon, « la censure, c’est comme le divorce, ça se fait par consentement mutuel. Il n’y a pas de censeur s’il n’y a pas quelqu’un qui veut bien se faire censurer. » A l’inverse du discours de diabolisation de l’Etat et singulièrement de l’Etat culturel, la volonté de constituer un rempart démocratique contre toute forme de totalitarisme anime toujours la plupart des femmes et des hommes de théâtre qui revendiquent aujourd’hui la filiation avec le théâtre populaire, et l’Etat est le plus souvent perçu non seulement comme un rempart contre la marchandisation de la culture, mais comme la matrice du secteur public culturel. Entre partisans et détracteurs contemporains du théâtre de service public, ce sont donc bien deux lectures de l’histoire de France qui s’affrontent, centrées sur des morceaux choisis divergents, et fondatrices de deux visions opposées du modèle de l’Etat-Nation et de la conception de la culture et du rôle du théâtre.

Notes
854.

François Regnault, Théâtre-équinoxes. Ecrits sur le théâtre – 1, Arles, /CNSAD (Série « Le temps du théâtre » dirigée par G. Banu, collection « Apprendre »), 2001, p. 233.

855.

Jean-Pierre Tolochard, « Le ver du populisme », in Georges Banu et Bruno Tackels (sous la direction de), Le Cas Avignon, Vic La Gardiole, L’Entretemps, 2005, p. 97.