v. Non pas constituer un débat démocratique, mais contribuer au débat démocratique.

La présence de l’argument d’autorité, l’absence de réciprocité dans l’échange entre la scène et la salle, le caractère non argumentatif de la parole émise, les incertitudes quant à l’impact du spectacle sur le public, ne conduisent cependant pas à invalider totalement la référence à l’espace public pour qualifier la fonction politique du théâtre. Une parole peut être émise sur un mode émotionnel, et pour autant alimenter le débat rationnel sur la Polis, par le rappel notamment de valeurs qui fondent et encadrent l’espace d’argumentation. De même, une parole peut ne pas être émise de manière démocratique, et contribuer au débat démocratique. L'on peut accepter d'envisager la représentation théâtrale comme un débat au sens métaphorique du terme, dans la mesure où les uns – les artistes – s'adressent bel et bien publiquement aux autres – les spectateurs – et où ceux-ci répondent, sinon verbalement du moins en leur for intérieur. Il s'agit d'envisager la question de la parole publique théâtrale (texte et mise en scène) sous l'angle de la responsabilité de l'auteur, l'auteur du texte et donc également l'auteur de la mise en scène, comme nous y incite Marie-José Mondzain :

‘« Si l’on veut éviter un effet de dissémination totale et d'évanescence pluraliste (comme dans tout ce qui, aujourd'hui, va avec les déconstructions, les scepticismes, les relativismes qui sont politiquement aussi dangereux que pouvaient l'être les dictatures qu'elles dénoncent), je définirais la posture d'auteur, ou l'autorité de l'auteur, comme "répondant." Répondre de ce que l'on propose à l'autre. C'est le fait de répondre en son nom, pas parce qu'on est une substance détentrice face à un manque qu'il faudrait aller combler, mais répondre en son nom, du mouvement que l'on déclenche, répondre, en son nom, du tramage qui émerge dans cet écart, de toi à moi. » 895

L'autorité en question n'est donc pas celle d'un individu mais d'une parole, et implique en retour la responsabilité, indispensable au maintient d’une conscience politique individuelle et d’une vie politique collective. Si la comparaison de l’espace-temps de la représentation théâtrale avec le fonctionnement de l’espace public paraît abusive au sens strict, cela ne signifie nullement que le théâtre ne peut contribuer activement au débat démocratique, et participer de la vie politique, d’autant que le rôle des artistes de théâtre dépasse le cadre des spectacles proprement dits. En effet, ils se situent et sont attendus sur le terrain plus directement politique, comme en témoignent ces propos de 2006 du Ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres, estimant qu’il « est important de laisser à l’artiste ce degré de liberté supplémentaire, par rapport au commun des mortels, qui lui permet de représenter et dénoncer les maux de notre société. » 896 Contradictoire en apparence avec la fonction de réunion de la communauté civique propre à la cité du théâtre politique oecuménique, la fonction critique des artistes de théâtre semble également faire partie intégrante de leurs attributions.

Notes
895.

Marie José Mondzain, in L’Assemblée Théâtrale, op. cit., p. 81.

896.

Renaud Donnedieu de Vabres, cité dans « L’enfance de l’art mise en examen », Edouard Launet, Libération, 20 novembre 2006.