ii. Le politique chez J. Rancière, affirmation de l’universalité en droit de l’égalité et processus d’émancipation en vue de réaliser cette égalité.

La réflexion de J. Rancière sur le politique nous paraît à même d’éclairer en quoi le théâtre politique œcuménique peut se comprendre comme un élément de la vie politique démocratique. Dans sa définition de la politique, le philosophe distingue « [le processus] du gouvernement », qui « consiste à organiser le rassemblement des hommes en communauté et leur consentement et repose sur la distribution hiérarchique des places et des fonctions » 898 , et le politique proprement dit, qu’il définit comme logique d’émancipation visant l’égalité. Pragmatique, la démarche de J. Rancière consiste non pas à dénoncer les inégalités mais à poser l’égalité comme un principe acquis, ce qui paraît pertinent dans le cadre de la France contemporaine, démocratique et républicaine, berceau de l’idéologie des Droits de l’homme. Cette affirmation initiale permet de revendiquer ensuite, au nom précisément de ce principe, une universalité de l’effectivité de ce droit à l’égalité. 899 Il y a donc un refus du principe de revendications idiomatiques, même si dans les faits il s’agit de prendre fait et cause pour une catégorie spécifique de citoyens, parce que ce sont uniquement eux qui se trouvent dans les faits privés du droit dont ils bénéficient par principe au même titre que l’ensemble de la communauté citoyenne.

Nous retrouvons là, telle qu’elle s’est élaborée au tournant du XXe siècle, la démarche des artisans du théâtre populaire œcuménique soucieux d’intégrer les classes populaires mais non de se focaliser exclusivement sur elles, à la différence des partisans du théâtre politique de classe. Si la notion de classe est encore pertinente aujourd’hui, l’une de ses déclinaisons contemporaines serait l’existence d’« identités » clivées et irréconciliables, et c’est cette logique que réfute J. Rancière, pour mieux réaffirmer l’universalité du droit à l’égalité. « C'est ainsi qu'on peut sortir du débat sans issue entre universalité et identité. Le seul universel politique est l'égalité. » 900 Mais cet universel l’est précisément en ce qu’il n’est pas un droit naturel, une essence ou une valeur humaine ou rationnelle, mais un principe qui n’existe que dans et par sa mise en acte dans des cas concrets. 901 Et c’est là qu’intervient le débat public qui va interroger l’actualité de cette universalité, et va la faire advenir par le fait même qu’il la questionne. 902 Si le politique se focalise sur des groupes spécifiques, c’est non en tant que groupes sociaux mais en tant que leur statut réel interroge la communauté démocratique. Sa définition du peuple nous paraît ainsi particulièrement éclairante quant à l’ambition du théâtre politique œcuménique.

Notes
898.

Jacques Rancière, Aux bords du politique, (La Fabrique, 1998) Folio essais, 2004, p. 112.

899.

Cette insistance sur le principe de l’égalité suppose donc que J. Rancière ne remet pas en cause les principes démocratiques et républicains mais demande leur application, à la différence du marxisme et de la sociologie bourdieusienne notamment, qui estime que les proclamations de liberté et d’égalité inscrites dans la constitution de la France et d’autres démocraties européennes ne servent qu’à masquer la réalité des rapports de domination. Voir Charlotte Nordmann, Bourdieu/Rancière, La politique entre sociologie et philosophie, Paris, Amsterdam, 2006.

900.

Aux bords du politique, op. cit., pp. 116-117.

901.

Idem.

902.

Idem.