iv. Conclusion. Le théâtre, création d’une parole commune et d’un lieu commun polémique.

Pour J. Rancière, l’artiste et le demos sont à considérer moins comme des groupes sociaux objectivement existants que comme des sujets politiques, qui à la fois posent comme horizon l’idéal d’une égalité et donc d’une universalité, et rappellent la situation réelle d’inégalité. Ce faisant, ces sujets, au-delà de leurs différences sociales, font advenir une parole et une scène communes. C’est dans cette mesure qu’il parle d’un « lieu commun polémique » qui traite le tort et démontre l’égalité 909 et constitue un espace public sans pour autant remplir tous les critères de l’espace public habermassien. Et c’est dans cette mesure également que l’on peut considérer le théâtre politique œcuménique comme acte politique et comme contribution au débat démocratique, en même temps que célébration de la démocratie. Dans la cité du théâtre politique œcuménique, le théâtre est pensé comme l’hétérotopie foucaldienne réfutée dans et par le théâtre postpolitique. A la fois dans et hors de la vie de la Cité, le théâtre politique oecuménique entend contribuer au débat démocratique, parce qu’il propose de fonctionner temporairement selon une autre logique, et parce que, héritier de la démocratisation théâtrale et d’une conception de la nation comme communauté civique, il porte des valeurs démocratiques et républicaines et une réflexion sur le bien commun susceptibles de critiquer le fonctionnement réel de la démocratie. Il ne s’agit pas de constituer un contre-pouvoir, à la différence de la cité du théâtre de lutte politique, mais de rappeler les fondements du modèle, quitte à opposer temporairement un contre-modèle à telle ou telle incarnation infidèle. Restent à étudier de manière concrète les conséquences de cette double vocation du théâtre politique œcuménique, oscillant entre primat de l’engagement artistique et affirmation de valeurs politiques et morales, entre revendication d’égalité de droit et célébration de l’universel démocratique. Le fait que l’artiste contribue au débat démocratique en tant que membre à part de la société civile incite à s’interroger sur son rôle de citoyen doté d’un statut spécifique pour aborder les questions politiques dans son œuvre et dans sa vie, et sur les modalités de son engagement politique et de sa conception du rôle politique du théâtre en tant que service public. Et le Bicentenaire de la Révolution Française constitue un événement marquant pour cette conception du rôle de l’artiste et du théâtre.

Notes
909.

Idem.