La volonté de célébration de la nation se heurte inévitablement depuis la seconde guerre mondiale au spectre de « l’Etat séducteur » 928 (Debray) qui, par « l’esthétisation du politique » 929 (Benjamin), par la fête collective, entend distraire le peuple, annihiler la réflexion individuelle, et manipuler l’opinion, en transformant le peuple en « foule » agissant comme un corps organique. La commémoration nationale ravive presque systématiquement le spectre d’une conception xénophobe de la nation. Et l’un des enjeux du Bicentenaire va consister, comme c’est souvent le cas dans les commémorations récentes de la mémoire nationale, dans la volonté de « transformation d’un nationalisme agressif en un nationalisme amoureux. » 930 L’ambition paradoxale des cérémonies du Bicentenaire va donc être la célébration critique de la Révolution. Et le théâtre constitue un média de choix pour faire tenir ensemble ces deux objectifs. Les Cérémonies du Bicentenaire constituent un événement qui marque fortement la programmation théâtrale du printemps, avant d’être balayé à l’automne par la Chute du Mur de Berlin et la révolution roumaine.Différents artistes sont sollicités par l’événement que constitue le Bicentenaire, de manière plus ou moins officielle, certains par le biais de commandes officielles de la commission du Bicentenaire, d’autres choisissant librement d’inscrire la programmation des théâtres dans cette actualité. Parmi les multiples propositions faites pour commémorer le Bicentenaire de la Révolution 931 , certaines nous paraissent particulièrement marquantes par les interprétations de la Révolution et / ou du Bicentenaire qu’elles proposent, entre célébration et critique.
Régis Debray, L’Etat-séducteur, Paris, Gallimard, 1993.
Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’heure de sa reproductibilité technique », Essais 2, 1935-1940, Denoël-Gonthier, 1983, p. 124.
Pierre Nora, « La Loi et la mémoire », Le Débat, n° 78, janv.-fév. 1994, pp. 187-191.
Pour un recensement plus exhaustif des projets théâtraux du Bicentenaire, se reporter à Jean-Paul Jungmann et Hubert Tonka, Inventer 89, coll. Vaisseau de pierre 3, Champ Vallon / Association de la Grande Halle de la Villette, 1988, et à Irène Sadowska-Guillon, « La Révolution mise en scène », Acteurs n° 71, juillet 1989, pp. 43-53.