c. Le Bicentenaire, où l’avènement du règne des droits de l’homme dans la cité du théâtre politique oecuménique.

i. Le triomphe des droits de l’Homme dans les propositions artistiques du Bicentenaire.

C’est au moment de la commémoration du Bicentenaire que la référence aux Droits de l’Homme se développe fortement 996 , ce qui se comprend aisément dans la mesure où ces droits permettent « à des gens très divers de se réunir dans la lutte contre les dictatures, despotismes, tyrannies et totalitarismes en tous genres qui fleurissent sur la planète. » 997  Mais la référence trouve un écho en France non seulement pour penser la situation à l’Est, mais également en tant qu’outil de contre-pouvoir destiné à « efficacement peser, ici et maintenant, sur la politique française. » 998 La réactivation de la référence aux droits de l’homme, originellement liés à la fondation de l’Etat-Nation républicain et démocratique en France, va désormais contribuer à contrebalancer ce modèle, insistant sur les droits de l’homme et non sur ceux du citoyen, autrement dit proposant un contre-modèle découplé de toute référence au cadre de la Nation, fondé sur des droits universels. Le Bicentenaire entend ainsi célébrer l’universalité des droits de l’homme, ce qui suppose de les découpler des droits du citoyen et du droit positif, et donc de l’appartenance à un système politique et judiciaire permettant de les faire valoir. Le concours « Inventer 89 » organisé à l’initiative de Jean-Paul Jungmann et Hubert Tonka 999 , placé sous le haut patronage de François Mitterrand, dit beaucoup de l’orientation du Bicentenaire. Or le cahier des charges des projets stipule explicitement l’élargissement de la réflexion sur les droits de l’homme au-delà des frontières françaises. « Une seul contrainte : se situer dans un cadre urbain, un espace public non limité au territoire français de par l’universalité des principes de la révolution Française et de la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen. […] » 1000 L’un des projets primés, « Citoyens 89 », se définit d’ailleurs comme la tentative de réconcilier les deux valeurs de liberté et d’égalité avec leur parent pauvre qu’est la fraternité :

‘« […] Historiquement, la liberté et l’égalité ont été le plus souvent sœurs ennemies inconciliables : l’une et l’autre s’étouffent, seule une troisième sœur pouvait créer l’harmonie : la fraternité. Mais qui est-elle ? Sa nature n’a jamais été clairement définie… L’esprit de « Citoyens 89 » consiste donc à proposer, à travers le monde, à des citoyens de toutes races et confessions, de différentes communautés urbaines, de participer, par le jeu de leurs portraits sous une forme très simple, directe et personnelle, à une célébration contemporaine de ces trois sœurs… » 1001

De même, un autre projet s’intitule explicitement « l’agora universelle » et réactive le mythe de la démocratie antique en l’élargissant à l’échelle de l’humanité :

‘« La révolution fut une lame de fond. Son legs, la Déclaration Universelle des Droits de l’homme et du Citoyen demeure un combat dont toutes les démocraties ont la charge. […] C’est pourquoi l’Agora est un vaisseau architectural ouvert aux hommes, aux ethnies, aux intellectuels du monde entier pour témoigner, débattre et recevoir messages ou images. L’Agora veut perpétuer l’héritage de la Révolution et entretenir avec vigilance la flamme des Droits de l’homme. » 1002

Pour mieux saisir les enjeux de la cité du théâtre politique oecuménique, il importe donc de se pencher sur la définition du politique que sous-tend cette référence omniprésente aux Droits de l’homme comme droits universels et découplés de toute appartenance à un cadre de citoyenneté déterminé. Et l’analyse de certaines critiques 1003 qui ont été adressées à la pensée des Droits de l’Homme nous paraissent à même d’aider à mieux cerner par la négative ses contours.

Notes
996.

Voir à ce sujet Marcel Gauchet, La Révolution des droits de l'homme, Paris, Gallimard, 1989.

997.

Marcel Gauchet, « Les droits de l’homme ne sont pas une politique », Le Débat n°3, juillet-août 1980. Publié dans La démocratie contre elle-même, Gallimard, Tel, 2002, pp. 2-3.

998.

Ibid., p. 4.

999.

Jean-Paul Jungmann et Hubert Tonka, Inventer 89, coll. Vaisseau de Pierre 3, Champ Vallon / Association de la Grande Halle de la Villette, 1988.

1000.

Ibid, p. 5.

1001.

Pierre Lobstein et Jean-Alain Sidi, avec Philippe N’Guyen Phuoc, « Citoyens 89 », projet n° 67, Inventer 89, Vaisseau de Pierres 3, La Grande Halle / Champ Vallon, 1988, non paginé.

1002.

Joris Franck et Mathilde Bonbon, « L’Agora Universelle », Projet 30, ibid.

1003.

Pour une réflexion plus exhaustive sur les critiques des droits de l’homme, nous renvoyons à Bertrand Binoche, Critiques des droits de l’homme, Paris, PUF, 1989, et à Stéphane Rials, La Déclarations des droits de l’homme et du citoyen, Hachette Littérature, Pluriel, 1989.