c. Contre la figure du militant. Portrait de l’artiste en citoyen engagé.

i. Le sujet politique est mort, vive l'individu citoyen.

Constatons tout d’abord que le citoyen n’est pas à la mode qu’au théâtre, et que l'engouement pour l'expression « théâtre citoyen » est à resituer dans une omniprésence plus globale du substantif, comme l’a rappelé Dominique Schnapper :

‘« Le terme de citoyen, dont la Révolution Française avait déjà fait un usage enthousiaste et parfois excessif, est revenu à la mode depuis quelques années d’une manière insistante, sinon obsédante, dans les pays démocratiques. Sous forme d’adjectif, on le voit accolé à toutes sortes de mots, on parle ainsi sans sourire de rencontres citoyennes, d’action citoyenne ou même de café citoyen. » 1117   ’

Mais cette fortune se fait au prix d’une forte dépolitisation du terme. Dans cette acception très large, il revient à dire simplement « non professionnel », « social », ou même « amical » ou « sympathique ». On est fort loin de la définition du substantif stricto sensu comme membre d’une communauté politique autonome, défini par ses droits et ses devoirs. Ce vocable participe en fait d’une redéfinition du politique d’où les notion de combat et d’adversaire politique sont absentes et remplacées par une dénonciation qui se réfère davantage à des principes moraux. Le citoyen ne désigne plus alors l’animal politique aristotélicien mais un individu héritier de la Déclaration des Droits de l’Homme et donc capable de s’indigner au nom de ces valeurs, au risque parfois, peut-être, que le combat politique devienne soluble dans l’indignation morale - c'est d'ailleurs cette dissolution que critiquent les détracteurs du théâtre citoyen. La légitimation du « citoyen » se fait dans et par le rejet de la posture du « militant », comme celle de l’artiste « engagé », ce dernier terme nécessitant lui aussi des précisions du fait de son ambiguïté historique. Et le parcours idéologique du théâtre du Soleil et de sa directrice Ariane Mnouchkine est emblématique à la fois de cette évolution et de la volonté de relire le passé à la lumière du présent.

Notes
1117.

Dominique Schnapper, avec la collaboration de Christian Bachelier, Qu’est-ce que la citoyenneté ?, Gallimard, 2000, p. 9.