b. Les années 1970 ou l’affranchissement à l’égard de la doxa brechtienne.

L’hégémonie de Brecht, mais aussi – surtout ? – celle de ses épigones, va être violemment remise en cause après Mai 68, notamment via une pétition de Guy Scarpetta. Une autre lecture de Brecht apparaît alors, et B. Dort se souvient que, « plus que celui des "grandes pièces ", c’était, déjà, celui des " pièces didactiques ", des œuvres de jeunesse et des " fragments " » 1297 que la nouvelle génération entendait mettre en exergue. Le spectacle de Jean-Pierre Vincent et Jean Jourdheuil en 1968 (La Noce chez les petits-bourgeois), celui de Mathias Langhoff et Manfred Karge (Le Commerce du pain, en 1972), « marquent un affranchissement des modèles du Berliner Ensemble des années cinquante – à la fois par l’humour du spectacle, par un jeu allègre jusqu’à la férocité et par ce que l’on pourrait appeler une nouvelle matérialité scénique (empruntant à la peinture, à la " nouvelle figuration.") » 1298 Mais surtout, ces spectacles regardent l’œuvre de Brecht « comme un objet extérieur » 1299 et mettent à distance « toute la vulgate brechtienne. » 1300 Les travaux de Martin Esslin ont sans nul doute contribué à l’infléchissement de la réception. Rédigé en 1961 et publié en France en 1971, l’ouvrage Bertolt Brecht ou les pièges de l’engagement 1301 entend – déjà – « faire une critique de Brecht en tant qu’écrivain engagé » 1302 et analyser « l’attitude politique de Brecht et ses relations avec les autorités est-allemandes. » 1303 Et le but était déjà de « servir la renommée d’un écrivain et d’un homme trop grand pour être ravalé au niveau d’une simple image de propagande. » 1304 Deux lectures de Brecht coexistent en réalité dans les années 1970, dont l’une « penche du côté du théâtre d’intervention et d’agit-prop » 1305 qui se nourriront ensuite de « Dario Fo puis du théâtre de l’Opprimé d’Augusto Boal. » 1306 En ce cas « la dramaturgie brechtienne sert à court-circuiter la fiction scénique » 1307 tandis que dans l’autre lecture, qui consiste à rabattre Brecht « sur la question du théâtre, de la représentation en soi », 1308 induit à penser que la dramaturgie brechtienne « n’institue qu’une interrogation du théâtre sur lui-même. » 1309 Cette division des lectures méconnaît ainsi l’enjeu central de l’œuvre brechtienne, qui tenait précisément à la coexistence de ces deux enjeux tenus ensemble au cœur même du dispositif dramaturgique.

Notes
1297.

Idem.

1298.

Idem.

1299.

Ibid., p. 8.

1300.

Idem.

1301.

Martin Esslin, « Introduction à l’édition française », Bertolt Brecht ou les pièges de l’engagement, Paris, coll. 10/18, Union générale des éditions, 1971.

1302.

Ibid., pp. 14-15.

1303.

Idem.

1304.

Idem.

1305.

Bernard Dort, « La traversée du désert. Brecht en France dans les années 80 », op. cit., p. 8.

1306.

Idem.

1307.

Idem.

1308.

Idem.

1309.

Idem.