Conclusion. La cité du théâtre politique œcuménique à l’heure de la crise du modèle républicain. Entre repli de la mission de service public sur une ambition de « théâtre d’art » et maintien de la vocation de « théâtre citoyen ».

La vocation politique ontologique et paradoxale du théâtre et des artistes de la cité du théâtre politique oecuménique.

Fondée sur une interprétation mythifiée des morceaux choisis et glorieux de l’histoire théâtrale que sont l’Antiquité grecque et la lignée du théâtre populaire de la fin du XIXe siècle à l’âge d’or du TNP de Vilar, la cité du théâtre politique œcuménique maintient et renouvelle l’idée d’une vocation politique ontologique du théâtre. Si l’espace-temps de la représentation théâtrale ne fonctionne pas à la manière d’un débat démocratique, il entend cependant y contribuer pleinement, par la création d’un « espace public polémique », l’assemblée théâtrale réunissant la scène et la salle fonctionnant comme une caisse de résonance dans laquelle s’amplifie l’écho d’une intelligence sensible. La cité du théâtre politique œcuménique, dont le principe supérieur commun pourrait être résumé par la formule « théâtre d’art-service public », active une politique de la pitié. Dans cette cité les artistes, qui estiment avoir une responsabilité singulière dans le débat public, constituent des tribuns de choix. Certes ils récusent le modèle du théâtre de lutte politique, à la fois par refus d’une instrumentalisation de l’esthétique au service le politique, et par désaccord idéologique avec l’autre lignée du théâtre populaire, que nous avons appelée théâtre populaire de classe, historiquement lié à l’idéologie marxiste et aux partis d’extrême gauche. Les artistes de la cité du théâtre politique œcuménique entendent bien pourtant s’inscrire eux aussi de plain pied dans le débat politique du fait même d’une double spécificité, de « conscience » et de parole. S’ils sont de ce fait pour partie assimilables à la noble catégorie des intellectuels, eux aussi dotés d’une parole publique spécifique, ils se démarquent cependant non seulement du modèle de l’intellectuel partisan inféodé idéologiquement et artistiquement, et même du modèle sartrien, mais se démarquent aussi, plus profondément, de la légitimation de la parole de l’intellectuel en tant que telle. Les artistes de la cité du théâtre politique œcuménique prennent la parole non pas au nom d’une compétence, d’un statut d’expert, ni au nom de principes politiques, mais au nom de leur conscience, précisément, c’est-à-dire d’un élan individuel et moral. Depuis la fin des années 1980, dans le contexte d’une défiance à l’égard de la classe politique et d’une crise idéologique des valeurs associées à la gauche, l’on constate en conséquence une double évolution de l’engagement des artistes, tant sur le plan des causes défendues que des modalités de leur défense.