L’engagement des artistes, de la défense de l’Etat-Nation républicain aux droits de l’homme universalo-européens.

La notion de service public chère aux artistes de la cité du théâtre politique œcuménique active également une définition légitimiste de la politique. Le théâtre est ontologiquement politique aussi en ce qu’il constitue une catégorie d’intervention publique. Il ne s’agit pas d’un devoir de propagande idéologique bien-sûr, au contraire le théâtre de service public s’est historiquement construit contre le spectre d’un art officiel. L’ancrage idéologique de ce théâtre tient à son oscillation permanente entre la célébration des valeurs démocratiques et républicaines, et la critique de telle ou telle incarnation de l’Etat-Nation qui contreviendrait aux principes fondateurs hérités de la Révolution Française, incarnés par la Déclaration des Droits de l’Homme d’une part, et la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » de l’autre. Cette oscillation a pris depuis les années 1970 une rythmique singulière du fait du passage de l’idéologie républicaine à l’idéologie des droits de l’homme, qui insiste sur les droits naturels et universels de l’homme moderne davantage que sur les droits d’un citoyen ancré dans le cadre de l’Etat-Nation. Certes, le début de notre période coïncide avec l’espoir d’une fin démocratique de l’Histoire dans une Europe pacifiée par l’effondrement du bloc soviétique, et les cérémonies du Bicentenaire marquent la volonté que les héritiers de Vilar renouent avec la vocation paradoxale d’un théâtre de célébration critique des valeurs républicaines et démocratiques, héritées des Lumières et d’une interprétation œcuménique de la Révolution Française. Mais après ce sursaut aussi spectaculaire qu’en rupture avec la période qui précède, les années 1990 confirment l’effacement de l’idéologie nationale et républicaine, au profit d’une défense des droits de l’homme contre la barbarie et les nouveaux visages du Mal, dans une lecture manichéenne et morale des conflits existant à l’échelle européenne et nationale, de la guerre en ex-Yougoslavie au soutien aux sans papiers. L’omniprésence de la référence au « théâtre populaire » et au « théâtre public », ainsi que la vivacité du débat que ces expressions suscitent, nous paraissent cacher la profonde crise que traverse au XXIe siècle la cité du théâtre politique œcuménique. Ses raisons sont nombreuses et profondes, mais paradoxalement cette crise profite pour l’instant à la formule « théâtre populaire », brandie par les artistes comme un dernier rempart pour asseoir la légitimité d’un théâtre qui précisément n’en a plus en tant que service public, d’une part parce qu’une partie des artistes et directeurs d’institutions en ont fait le deuil, d’autre part parce que sans public – ou avec un public qui ne représente plus qu’une infime minorité de la population – il devient difficile de légitimer le financement du théâtre par la collectivité. La crise que traverse la cité du théâtre politique œcuménique nous paraît tenir plus fondamentalement à la crise idéologique que traversent la gauche et l’idéal républicain – et cette crise se cristallise précisément autour des notions de « peuple » et de « Nation ». Comment défendre le service public découplé de la référence au cadre de l’Etat-nation républicain nourricier et interventionniste ? Ariane Mnouchkine paraît à ce titre marginale autant qu’emblématique, par sa défense de la République et de la nation, de même que par le caractère explicite de son appartenance sinon partisane, du moins politisée, dont témoigne son soutien à la candidate socialiste à l’élection présidentielle de 2007. 1474 En ce sens, il nous paraît symptomatique que la référence à la nation tende à s’estomper dans le discours des artistes de la cité du théâtre politique œcuménique, tandis que la référence à l’Europe considérée comme l’antichambre de l’universalité des droits de l’homme, prend de l’ampleur, dans le même temps que la référence au « théâtre citoyen » laisse la place au « théâtre d’art » – et la formule témoigne ainsi de l’évolution d’un Olivier Py vers le refus de toute orientation idéologique explicite à mesure de sa prise de pouvoir institutionnelle sous des pouvoirs politiques de droite. 1475

Notes
1474.

La page « guetteurs et tocsins » du site du Théâtre du Soleil renvoyait durant la campagne de l’élection présidentielle 2007 au site « Désirs d’avenir » de la candidate socialiste Ségolène Royal.

1475.

« Le cas emblématique reste Olivier Py. Sa légitimité artistique n’est pas en cause. Mais sa nomination à la tête de l’Odéon est tout sauf innocente. » René Solis, « A la grâce de Donnedieu. Les nominations du ministre de la Culture sont constestables », Libération, 04 mai 2007.