Chapitre 1. La réorientation institutionnelle du théâtre sur sa « mission sociale » et politique

Dans la cité de refondation de la communauté théâtrale et politique, la vocation de la culture, et donc du théâtre, est abordée essentiellement dans son équilibre entre l’enjeu artistique et la mission sociale, sinon politique. Ce glissement sémantique du « politique » au « social » peut s'appréhender dans le contexte plus général, déjà évoqué dans les parties précédentes, d’un triomphe de la policy (gestion, administration) au détriment de la politics (politique partisane mettant en jeu un choix en termes de valeurs). Et ce déplacement est lié à un autre, qui s’opère en termes géographiques et administratifs, de l'Etat vers les villes. Du fait de cette définition, l’objectif assigné à la culture et au théâtre consiste à améliorer le sort des laissés pour compte et des exclus mais aussi, plus largement, celui de l’ensemble de la population. Encore faut-il préciser les limites et les modalités de cette amélioration, étant entendu que les artistes ne sauraient être mis en concurrence avec les travailleurs sociaux, non plus que le théâtre ne saurait être mis en concurrence avec le fait d’avoir un logement, un emploi, de suivre des cours d’alphabétisation. Cette définition pose également la question de la détermination des cibles, et celle des moyens spécifiques mis en œuvre pour les atteindre. L’autre caractéristique de cette cité tient au fait que cette mission sociale nouvelle formule est inscrite par les financeurs que sont les pouvoirs publics. L’on peut donc qualifier cette cité de « théâtre politique » au sens légitimiste du terme, parce que ses objectifs sont impulsés et relayés par le pouvoir politique. Deux nuances doivent toutefois être immédiatement apportées. La première tient au fait que les pouvoirs en question ont fortement évolué sur la période qui nous occupe, la place hégémonique de l’Etat s’amenuisant à mesure que les collectivités territoriales occupaient le terrain, en même temps que les services de la Culture perdaient leur monopole au profit d’autres services, et particulièrement celui de la politique de la ville. La seconde nuance tient au fait que les pouvoirs publics ne sont évidemment pas les seuls acteurs impliqués, et que le rôle des artistes est toujours essentiel, de même que celui des professionnels de la culture (directeurs de lieux, chargés des relations publiques, mais aussi personnel des DRAC). Face à cette démultiplication tous azimuts des acteurs impliqués, ainsi qu’aux profonds bouleversements et rééquilibrages successifs des missions et des responsabilités respectives, il importe d’éclaircir d’abord la première, afin de mieux comprendre les choix opérés pour les secondes, ainsi que leurs évolutions. 1477

Notes
1477.

Nous tenons ici à remercier Henri Taquet pour sa précieuse relecture de ce chapitre.