b. Le débat sur la mission sociale du théâtre depuis l’opposition créateur/animateur des années 1970.

i. L’après Mai 68 : Le pouvoir aux créateurs… Et l’avènement du règne parallèle des animateurs.

Conséquence de la découverte du non-public, avec Mai 68 s’opère la scission entre création et animation, deux ambitions qui n’en faisaient qu’une pour les décentralisateurs d’avant comme d’après guerre. Certains artistes tentent au cours de la décennie suivante de rajeunir l’idée du service public, mais la plupart « récus[ent] toute velléité d’attribuer à leur art une utilité immédiatement sociale. » 1481 Et les artistes qui le souhaitent peuvent désormais pleinement assumer leur statut de créateur sans plus se préoccuper de démocratisation, d’une part parce qu’il a été prouvé que l’entremêlement de ces deux objectifs conduisait inéluctablement à l’échec, d’autre part parce que ce « service » va constituer désormais une mission à part entière de l’art. Mai 68 peut en effet être considéré comme l’avènement du règne de l’action culturelle, qui va durer toute au long de la décennie 1970. Aux côtés des Maisons de la Culture financées par l’Etat, cathédrales lourdes, chères et parfois peu efficaces, qui tentaient de réunir les deux missions, sont créés des Centres d’Action Culturelle qui abandonnent la mission de production voire d’action théâtrale – laissée aux Centres Dramatiques Nationaux – au profit de l’animation culturelle financée et pensée à l’échelle locale. Le Colloque de Châteauvallon en 1971, qui ne réunit que des directeurs d’établissements d’Action Culturelle à l’exclusion des « directeurs de théâtre », formule explicitement la radicale distinction entre les deux types d’établissements. La rupture avec l’ère Malraux tient à « un double déplacement : d’une part, la création apparaît extérieure à l’action culturelle, et, d’autre part, sans que ce soit formulé, […] l’action culturelle est identifiée à l’animation. » 1482 Reste à déterminer par qui et comment cette dernière doit être remplie. Dans les années 1970, au sein de l’animation, deux voies vont s’opposer. La première ne fait que prolonger les modalités mises en œuvre par les pionniers de la décentralisation. En effet, « l’animation-environnement », comme l’appelle Jean Caune, fin connaisseur, « ne conçoit la pratique artistique que dans le rapport à l’œuvre artistique. […] Définie pour servir l’œuvre, elle est censée en donner, sinon les clés, du moins les éléments d’information essentiels » et par conséquent « laisse de côté tout ce qui peut être de l’ordre des pratiques du processus artistique. » A l’inverse, issue de l’Education populaire, « l’animation socioculturelle » (Michel Simonot), appelée par Jean Caune « animation créative », est « destinée à catalyser le jaillissement d’une parole dans laquelle les groupes sociaux pourront se reconnaître » et « plus préoccupée de l’émergence de l’expression que de sa mise en valeur, de sa circulation ou de sa signification. » 1483 Cette option découle d’une interprétation de la « crise culturelle » de Mai 68, et du soupçon corollaire à l’égard de la « culture cultivée ».

Notes
1481.

Robert Abirached, in La Décentralisation théâtrale, tome 4, Le Temps des incertitudes. 1969-1981, Arles, Actes Sud-Papiers, Anrat, cahiers n°9, p. 18.

1482.

Jean Caune, La Culture en action, Grenoble, PUG, 1999 (1992), p. 220.

1483.

Ibid., pp. 221-222.