ii. Le renouveau des missions de service public du théâtre dans les années 1990 : Du Ministère des artistes au Ministère du Public.

C’est le bilan du premier Ministère Lang, et notamment son bilan comptable, qui à la fin des années 1980 va remettre à l’ordre du jour la question des missions de service public du théâtre – et donc de sa mission de service au(x) public(s). Certes, l’augmentation des crédits au cours de la décennie doit être nuancée du fait de l’inflation, et le sous-financement chronique de l’Etat au regard des missions pluridisciplinaires des établissements théâtraux constitue semble-t-il l’une des raisons de la situation de déficit chronique qui s’est installée dans de nombreux établissements publics du théâtre. Mais la crise du théâtre public tient aussi et surtout à certains défauts de gestion, taxés par certains de laxisme, et qui sévissent non seulement dans les Centres Dramatiques Nationaux mais aussi dans les Maisons de la Culture et les Centres d’action Culturelle. Les artistes comme les programmateurs et directeurs d’institutions ne se souviennent pas toujours de la gageure que représente le théâtre de service public, au sens de « service technique rendu au public, par une organisation publique, d’une façon régulière et continue, pour la satisfaction du public » 1490 entendu comme ensemble de la population, et non pour la satisfaction des artistes, des professionnels de la culture et d’un microcosme d’amateurs éclairés. Le second Ministère Lang, avec à la tête de la Direction du Théâtre et des Spectacles Bernard Faivre d’Arcier, rigoureux gestionnaire, s’emploiera précisément à revenir à une gestion assainie et une vision rigoureuse du théâtre public et particulièrement des Maisons de la Culture. Outre le renforcement des contrôles sur les établissements, le nouveau Directeur du Théâtre et des Spectacles axe sa politique en faveur de l’Action Culturelle sur l’implication de nouveaux acteurs financiers que le premier Ministère Lang n’avait pas suffisamment pris en compte : les collectivités territoriales, et particulièrement les villes. Ces dernières jouent de fait un rôle désormais considérable dans la redéfinition de la notion de « service public de la culture », expression qui revient en force dans les propos de Bernard Faivre d’Arcier, et qui fait revenir avec elle le souci du public : « Jack Lang est incontestablement le Ministre des artistes. Le Ministère doit maintenant devenir celui du public, souvent trop négligé. » 1491 La tâche de renouveler la triade posée par Planchon en 1968 : « un bon projet artistique, une bonne relation avec le public, une bonne gestion », si chère à Bernard Faivre d’Arcier, incombe désormais aux DRAC, services de l’Etat déconcentrés, qui doivent enfin assumer la fonction d’interface entre Etat et collectivités territoriales pour laquelle elles avaient été créées en 1977. Il s’agit là de faire coïncider les positions du Ministère avec une situation de fait, ce qui s’explique dans le contexte plus global de transfert de la charge de l’Etat vers les collectivités territoriales, communes et associations, jadis accusées de favoriser les particularismes, étant de plus en plus plébiscitées pour leur œuvre de « démocratie de proximité. » 1492 Certes, l’existence même des Maisons de la Culture créées par Malraux dans les années 1960 supposait l’implication forte des communes et renvoyait l’Etat au rôle d’accompagnateur plus que de guide suprême, au point que certaines sont devenues avec le temps des théâtres municipaux. Mais la situation de fait a considérablement évolué depuis, sans que l’organisation institutionnelle officielle ne s’en trouve elle aussi aménagée. Car le fait majeur des années 1980 et plus encore des années 1990 est l’implication grandissante puis majoritaire des collectivités territoriales dans le financement de la culture, et l’évolution que ce transfert de charge entraîne dans les missions dévolues à cette dernière, et notamment au théâtre. Au cours des années 1980, l’échec des anciennes formules visant à démocratiser le théâtre, à conquérir le non-public et à faire de la France une « démocratie culturelle » est acté par les artistes comme par les pouvoirs publics, et le renouveau est attendu de l’évolution même de la société. Il s’agit notamment d’optimiser l’impact du déplacement global et inéluctable des modes de financements publics de l’Etat vers les collectivités territoriales, pour transformer le risque d’un asservissement en opportunité d’amélioration de la mission sociale du théâtre.

Notes
1490.

Denis Carot, « Quand l’Etat oublie son rôle : Le malaise du théâtre service public », deuxième partie, in Du Théâtre, la revue, n°3, mars 1994, pp. 41-64.

1491.

Bernard Faivre d’Arcier, in Olivier Schmitt (entretien avec Bernard Faivre d’Arcier), « Le management : un chantier nouveau pour les créateurs », Le Monde, 4 janvier 1990.

1492.

P. Urfalino, idem.