Au-delà de la diversité des objectifs propres à chacun des différents partenaires, un enjeu commun articule les différents objectifs des partenaires, lié au constat d’une désagrégation du lien social et politique, et à la volonté de refonder le vivre ensemble. C’est ce qui explique la récurrence au sein du volet culture de la politique de la ville, de projets « visant à réinclure dans l’histoire et la mémoire de notre pays l’histoire des immigrations qui en fondent l’identité » 1516 et à « mett[re] les cultures en partage » 1517 , « dans un contexte marqué par le danger de fragmentation et d’ethnicisation des rapports sociaux et leur traduction territoriale » 1518 , l’objectif étant « le retour au droit commun pour les zones défavorisées urbaines, et la prise en compte de leur spécificité culturelle » 1519 sans pour autant aboutir à une forme de ghettoïsation inversée par un excès de valorisation du différentialisme culturel. Ces données permettent également de mesurer à quel point la politique de la ville modifie à la fois l'équilibre entre artistes et hommes politiques dans l'assignation des missions de la culture et la définition de cette mission et « présente une nouveauté radicale dans l'histoire des relations entre l'Etat et les metteurs en scène ou les directeurs de théâtre. » 1520 Il s’agit non plus de viser la démocratisation théâtrale, qui a fait la preuve de son échec, mais d’œuvrer à réaliser une véritable « démocratie culturelle » qui ne se contente pas de « diffuser des œuvres artistiques reconnues » 1521 mais permet de « reconnaître et valoriser les pratiques [de] populations » 1522 spécifiques, le théâtre ayant pour tâche, par ce biais, de contribuer à renforcer la cohésion sociale, en contrepartie des subventions reçues. Pourtant, quelque forme artistique qu'elle prenne, la politique de la ville – singulièrement dans son volet culturel – montre elle aussi ses limites sur le plan politique. Comme on pouvait s'y attendre, la culture se révèle inapte à résoudre les problèmes qui lui sont soumis, l'enjeu premier des participants étant souvent moins de s'approprier la culture que d'apprendre à maîtriser la langue ou les codes sociaux, ou de trouver un emploi, toutes choses qui outrepassent à l’évidence la compétence des artistes. La clarification des enjeux du volet culturel de la politique de la ville, et la prise de conscience des limites à apporter aux attentes à son égard, sont donc indispensables.Ceci étant dit, l’une des grandes et incontestables réussites de la politique de la ville tient au fait que, destinée avant-tout au non-public social et culturel au sens strict, elle va essaimer ensuite, cette politique publique constituant en elle-même un facteur d’intégration entre ce non-public au sens fort et l’ensemble de la population, incluse socialement mais qui exclut le théâtre de ses pratiques quotidiennes. C’est ce qui fait dire à deux spécialistes de l’Observatoire des Politiques Culturelles que, « si la place de la culture dans la politique peut être considérée comme marginale au regard des financements mobilisés ou des priorités affichées par les partenaires institutionnels, on ne peut cependant ignorer l’importance que l’émergence de projets culturels financés par la ville a eue sur la définition du champ culturel d’une part, et sur les orientations des politiques culturelles, notamment municipales, d’autre part » 1523 , autrement dit sur « l’introduction de plus de démocratie culturelle dans les politiques culturelles. » 1524 Cette notion de démocratie est primordiale, de même que celle de vivre ensemble, en ce qu’elles définissent non seulement la politique de la ville mais aussi la culture et la politique comme fondamentalement œcuméniques, d’une manière a priori assez proche des définitions à l’œuvre dans la cité du théâtre politique œcuménique. Mise en chantier dans les années 1980 par un gouvernement de gauche, et poursuivie depuis par des gouvernements de droite, la politique de la ville – et notamment son volet culturel – semble transcender les clivages traditionnels et faire l’objet d’un consensus des partis de gauche comme de droite.
Claude Brévan et Martine Marigeaud, op. cit., p. 7.
Idem.
Ibid., p. 8.
Idem.
Philippe Urfalino, op. Cit., p. 290.
Philippe Chaudoir et Jacques de Maillard, « Les enjeux culturels des contrats de ville », in Culture et politique de la ville, op. cit., p. 34.
Idem.
Cécile Martin et Jean-Pierre Saez, « Avant-propos : Culture et politique de la ville. Evaluer pour évoluer », in Culture et politique de la ville, op. cit., pp. 9-10.
Ibid., p. 8.