d. La culture comme mission sociale : objet d’un consensus politique ou définition consensuelle de la culture et de la politique ?

i. 1989-2002 : Consensus de l’Etat et des collectivités territoriales sur la mission sociale de la culture.

Pour évaluer l’évolution de la politique de la ville, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle locale, le clivage gauche / droite ne s’avère pas déterminant. Les « projets culturels de quartiers » 1525 lancés par Philippe Douste-Blazy en avril 1996 1526 , dont la mise en poste est consécutive à l'élection de J. Chirac sur le thème de la fracture sociale, s’inscrivent ainsi dans la continuité de la politique de la ville mise en place dans les années 1980. Si le Ministre UMP remet en cause les mesures de ses prédécesseurs socialistes 1527 , c’est au titre de leur manque d’efficacité au regard de l’objectif visé, et non du fait d’une remise en cause de l’objectif de lutte contre l’exclusion, qui constitue au contraire la colonne vertébrale de son action comme de sa définition du rôle de l’artiste et du théâtre :

‘« Les hommes de théâtre ne doivent plus seulement se préoccuper de la venue du plus grand nombre dans leur théâtre, ils doivent également contribuer à renforcer la cohésion sociale, selon le principe que "l'action culturelle et artistique offre l'occasion de participer à une activité sociale" et peut favoriser "la restauration de la communication dans la ville. " » 1528

Le fait que, depuis les années 1980, la gauche soit considérée comme la détentrice d’une compétence en matière de culture avec laquelle la droite ne saurait prétendre entrer en concurrence, constitue évidemment un premier élément d’explication. Mais ce complexe, de même que l’ambiguïté de la droite telle que la concevait J. Chirac, dont le discours sinon la politique maniait parfois une rhétorique plus à gauche que celle de Mitterrand, ne sont pas les seuls facteurs à prendre en compte. Il semble qu’il y ait bien un consensus entre la gauche et la droite sur cette nouvelle définition de la culture, précisément parce qu’il s’agit d’une conception consensuelle : La culture doit permettre de réunir ce(ux) que la société divise par ailleurs. Qui plus est, elle réunit en actes et non en discours, toujours susceptibles d’introduire de l’argumentation et du désaccord. Le volet culturel de la politique de la ville fait donc l’objet d’un accord sur son principe. Ainsi, la Ministre socialiste qui lui succède se démarque de l’action de P. Douste-Blazy à nouveau parce qu’elle va tenter de radicaliser la proposition de son prédécesseur. Catherine Trautmann critique en effet « les actions ponctuelles à grand renfort d'effet d'annonce » 1529 , et prône une politique généralisée et pérennisée. Cette absence de clivage entre la gauche et la droite sur le principe de la politique de la ville, de son volet culturel, comme sur la définition de la politique et de la culture qu’elle implique est observable non seulement au niveau du Ministère de la Culture mais à l’échelle locale, avec une nuance cependant. Puisqu’il n’y a pas un acteur principal impliqué mais une infinité – plusieurs acteurs pour chaque quartier ciblé par la politique de la ville, y compris si l’on se concentre uniquement sur les acteurs politiques – aucun dessin d’ensemble ne peut être véritablement tracé, précisément parce que les clivages s’opèrent en fonction des individus et non des obédiences politiques. Cette situation générale, de même que la définition de la culture et de la politique auxquelles elle s’articule, sont cependant à resituer dans le contexte d’une évolution notable au cours de notre période, d’une pacification des rapports sociaux et d’une atténuation des clivages idéologiques et politiques dans les années 1990, visibles dans la rhétorique manipulée par les hommes politiques, les médias mais aussi les professionnels de la culture 1530 , à un renouveau du clivage gauche-droite de 2002 à 2007. Et le nom même choisi pour définir la population-cible de la politique de la ville cristallise ces contradictions.

Notes
1525.

« Ce programme impliquait un soutien financier, initialement accordé à vingt-neuf projets artistiques menés par des associations ou des institutions culturelles dans des zones urbaines pauvres et soutenus par des collectivités territoriales. » Alice Blondel, ibid.

1526.

Voir Catherine Bédarida, « Philippe Douste-Blazy lance vingt-neuf projets culturels de quartier », Le Monde, 10 avril 1996.

1527.

Jacques Toubon, Ministre de la Culture de mars 1993 à mai 1995, n’a pas produit d’événement notable, aussi la référence reste pour P. Douste-Blazy le règne presque ininterrompu (de 1986 à 1988) de J. Lang depuis 1981.

1528.

Alice Blondel, « Poser du Tricostéril sur la fracture sociale. L'inscription des établissements de la décentralisation théâtrale dans les projets relevant de la politique de la ville. », op. cit., p. 292.

1529.

Catherine Trautmann, citée par Alice Blondel, ibid.

1530.

Voir supra, partie I, chapitre 1, 2, b et chapitre 2, 2, c.