ii. L’exclusion, un statut économique, culturel mais aussi politique.

Avant d’approfondir les enjeux sémantiques de la notion d’exclusion, il importe de cerner le champ d’application du terme. Il semble qu’il permette de mettre en lumière une articulation entre les statuts économique, culturel et politique d’un individu. Le phénomène de dépolitisation est en effet particulièrement vif chez les travailleurs pauvres et plus encore parmi les exclus de la société, qui soit ne sont pas citoyens de droit (sans papiers) ou de fait, parce que leur sentiment d'illégitimité culturelle et politique est si fort qu'ils n'utilisent pas leur droit de vote, et sont donc de fait exclus de la citoyenneté, entendue comme acte politique et d'intégration sociale. Mais le phénomène déborde très largement cette frange la plus marginale, puisque 35% des employés et 40% des ouvriers se sont abstenus par exemple lors de la dernière élection présidentielle ¹⁵³¹ :

‘« La non-participation au vote touche particulièrement les classes populaires. Ainsi, lorsque les ouvriers représentent le tiers des personnes en âge de voter, ils pèsent pour moins d'un quart des votes exprimés. C'est une logique de retrait de la sphère publique qui se traduit aussi par la moindre participation aux associations ou aux syndicats. L'écart qui sépare la participation des classes populaires de celle des couches aisées ne cesse de s'accentuer. Aux dernière élections européennes, les ouvriers se sont trois fois plus abstenus que les cadres. » ¹⁵³² ’

De même le vote aux extrêmes manifeste également un désaveu des « professionnels de la politique » de la part des ouvriers et employés mais aussi des chômeurs :

‘« […] Les classes populaires se caractérisent par un vote massivement porté sur les partis extrêmes : 37% pour les employés et 49 % pour les ouvriers. Les couches populaires, notamment les ouvriers, sont celles qui votent le plus pour le Front National, ce parti recueillant depuis 1995 la plus grande part du vote ouvrier alors que les cadres votent pour plus de la moitié pour la gauche. Aux élections présidentielles de 2002, plus d'un tiers des ouvriers ont voté pour l'extrême droite. […] Emblématique, le vote des chômeurs montre la capacité du Front National à capter le vote des perdants de la mondialisation : l'extrême droite recueillant 40% de leurs suffrages, contre seulement 17% à l'extrême gauche. D'une manière générale, les thématiques développées par les extrêmes sont complémentaires car elles recouvrent toutes les préoccupations des classes populaires : précarité, chômage, perte de garantie ou faible niveau de salaires, immigration, insécurité… » ¹⁵³³ ’

Ces données sont capitales pour comprendre les conditions d'existence d'un théâtre qui se veut politique en s'adressant à ces populations qui ne font pas ou n’ont pas le sentiment de faire partie de la communauté des citoyens, qu'il s'agisse donc d'une privation des droits civiques comme c'est le cas pour les détenus ou d'une exclusion symbolique. Dans les deux cas il s'agit d'une rupture radicale d'avec le modèle du théâtre militant puisque ces publics-populations ne sont pas à égalité politique, ni en matière de connaissance ni en matière de droits réels, avec les intervenants. De même si l'on peut dire qu'ils sont unis par une même cause, celle-ci n'est pas liée à un combat concret et l'union tient uniquement de l'identification problématique dont parle Jacques Rancière, mais qui parfois bute sur l'humanitaire. Le rapport que ces populations entretiennent au politique ne peut être occulté par les artistes, et conditionne pour partie les fonctions et les formes que peut revêtir ce théâtre. Il semble toutefois que, s’il permet de prendre en compte une articulation entre différents aspect de la condition d’un individu, le terme d’ « exclu » contribue dans une certaine mesure à faire perdurer cette condition.