Il s’agit donc dans ce cas d’un échange à deux niveaux, puisqu’avant l’échange entre l’ensemble des acteurs (participants et acteurs de la compagnie) et le public, il y a un premier échange entre les acteurs de la compagnie et les participants dans le temps de l’atelier. En ce cas il s’agit d’un échange en termes d’expériences de vie, mais également d’un échange de savoir-faire. Et les participants servent ensuite également de relais avec la population locale, puisque leurs familles, leurs proches et leurs amis viennent les voir jouer. Les Rencontres avec le public sont fondées elles aussi sur le principe de l’échange, puisqu’à chaque table se côtoient un acteur de Kumulus et un participant. Mais il importe de distinguer deux types de participants, même si l’objectif est à chaque fois de créer une communauté. Pour les tournées en France, l’enjeu consiste à fonder une communauté qui transcende les clivages entre professionnels et non/professionnels. Les participants aux ateliers sont des habitants du quartier dans lequel les Rencontres vont prendre place, certains sont là en tant qu’amateurs de théâtre, d’autres – des jeunes le plus souvent – sont là parce que l’atelier constitue une forme d’animation. Mais ces ateliers n’existent pas en eux-mêmes, et ouvrent toujours sur un rendu public. Les duos sont donc pensés pour que les participants soient mis à l’aise et soient à la fois encadrés et stimulés dans leur jeu par un partenaire professionnel. Mais ce dispositif a ses limites, car les participants sont de fait de moins bons comédiens que ceux de la compagnie, et la comparaison s’avère rarement flatteuse pour eux. En outre, ce principe de jeu pose également un problème qui affecte le sens, car malgré le temps de préparation des boîtes, le jeu des novices fait parfois basculer la « représentation » dans une forme d’exutoire. Leurs récits sont en général moins subtils, voire racoleurs et caricaturaux – les viols et agressions physiques en tous genre abondent, figurés le plus souvent sans distanciation et sans force poétique. 1781 Il semble que l’égalitarisme volontariste de la compagnie se heurte à un décalage de fait dans la maîtrise du métier d’acteur, et le beau projet de créer une communauté de jeu aurait peut-être été mieux servi en étant moins ambitieux (les non-professionnels ne participant qu’à l’atelier) ou plus ambitieux au contraire (en allongeant le temps de préparation et en ne faisant jouer que les non-professionnels, parti pris radical et risqué il est vrai.) L’échec relatif de cette proposition en France est à nuancer dans la mesure où chaque Rencontre est unique – et l’exemple évoqué n’a pas valeur de leçon à portée générale infaillible. En outre, cet échec n’est pas imputable essentiellement à la compagnie, comme le suggèrent les solutions que nous venons d’évoquer, qui toutes ne pouvaient être envisagées faute de moyens. 1782 A l’étranger, cet écueil est évité par le fait que les participants sont le plus souvent des acteurs. Ce choix de la compagnie s’explique dans la mesure où participants et acteurs de Kumulus doivent déjà surmonter la barrière de la langue au cours des ateliers. En outre, les pays où tournent les Rencontres de Boîtes sont essentiellement des pays en grande difficulté économique et politique, et la tournée s’apparente souvent à une forme de solidarité avec des acteurs qui ne peuvent pas exercer leur métier aussi facilement que ne le font leur homologues français. Le projet des Rencontres de Boîtes a d’ailleurs dès son origine été pensé pour aboutir à des Rencontres Internationales de Boîtes, ainsi décrites par le directeur artistique de la compagnie, Barthélemy Bompard :
‘« A l’origine de cette histoire, nous avons rêvé au jour où nous pourrions rassembler les acteurs de toutes ces Rencontres de boîtes, croisés au cours de nos pérégrinations à travers la France, la Serbie, la Macédoine, l’Albanie, la Turquie, le Niger. Ainsi, du fond de nos désirs itinérants est venue l’idée des Rencontres Internationales de Boîtes.Parce qu’elle estime que la communication n’équivaut plus qu’à un terme de marketing, qui n’implique plus voire entrave la communication directe de personne à personne, dans un monde marqué par la mise en concurrence des individus, la compagnie opte résolument pour une communion qui permette de rassembler les « différents peuples » et les « différentes cultures », et de lutter contre les effets catastrophiques de l’absence de communication et de « l’incompréhension », que sont « les méandres du fanatisme » et « la guerre ». Il est à noter que ces conséquences témoignent du fait que la désagrégation de la communauté ne signifie pas tant le triomphe de l’individualisme, que la reconfiguration de micro-communautés identitaires, fondées sur ce qui les différencie des autres, et de ce fait source de conflits avec les autres communautés. A ces communautarismes la compagnie oppose « l’Homme », dont la majuscule universalisant est symétrique de celle dont est ornée « l’Autre ». C’est à ce degré d’abstraction qu’est envisagée la refondation du « vivre ensemble », que concrétisent l’écriture des Rencontres, la composition de l’Assemblée d’acteurs-personnages et celle du public, ainsi que le cadre de représentation, qui tous oeuvrent à créer une communication directe qui tend vers une forme de communion en ce qu’elle est fondée sur un registre émotionnel et sensible, voire sensitif. Les récits ont moins vocation à référer à une réalité documentée qu’à faire éprouver au spectateur la condition de réfugié, et misent sur les sens (inflexions de voix, intentions de jeu, poésie des images) et non sur la précision de détail. Et l’effet d’empathie programmé par le spectacle sur le spectateur, qui passe par cette double médiatisation d’un récit et d’un comédien-narrateur-personnage, se combine à une mise en situation qui vise à ce que le spectateur soit littéralement mis à la place du réfugié, par l’ « itin-errance » prévue au sein du dispositif scénique et par la soumission aux aléas météorologiques. Ces différents éléments sont autant de caractéristiques des procédés esthétiques auxquels il est fait recours dans la cité de refondation de la communauté théâtrale et politique, et nous souhaitons à présent, à travers l’étude de deux autres exemples, creuser plus précisément deux points : d’une part, à partir de l’exemple d’Armand Gatti, le statut poétique et fictionnel du langage, et d’autre part le mode de réagrégation de la communauté, qui doit lutter à la fois contre la décomposition du lien interpersonnel et contre sa recomposition en communautés identitaires unies par ce qui les oppose aux autres communautés, autour de l’exemple des Passerelles du Théâtre du Grabuge.
Source : Site de la compagnie.
Ce fut notamment le cas lors des Rencontres de boîtes programmées dans le cadre du festival Parades à Nanterre le 02 juin 2007. Eric Blouet et Céline Damiron émettent d’ailleurs des réserves à l’égard de cette « représentation », expliquant le problème par le nombre important de participant, quasi aussi nombreux que les professionnels, et par le bruit régnant dans la cour d’école où elle avait lieu, peu propice à créer une intimité et un jeu subtil, même pour les acteurs professionnels. Entretien déjà cité.
Encore une fois, le projet dépend de l’argent qu’est disposé à mettre l’acheteur, le plus souvent le service culturel d’une municipalité.
Source : site de la compagnie.